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D'emblée, le royaume
de Bérenger se révèle très particulier,
puisqu'il est l'univers dont il se croit le centre :
"-
Juliette : Il était roi d'un grand royaume.
- Marie : Il en était le centre. Il en était le
coeur.
- Juliette : Il en était la résidence.
- Le Garde : Le royaume s'étendait tout autour, très
loin, très loin. On n'en voyait pas les bornes.
- Juliette : Illimité dans l'espace.
- Marguerite : Mais limité dans la durée. A la
fois infini et éphémère.
- Juliette : Il en était le prince, le premier sujet,
il en était le père, il en était le fils.
Il en fut couronné roi au moment même de sa naissance.
- Marie : Ils ont grandi ensemble son royaume et lui.
- Marguerite : Ils disparaissent ensemble."
(Le Roi se meurt, Ionesco, Ed. Gallimard,
Théâtre IV, 1966, p. 62).
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Les rapports entre le Roi et son royaume sont très complexes,
puisque cet univers est à la fois en lui (il en est la résidence)
et hors de lui ; il est en quelque sorte sa vie et plus que sa vie,
puisqu'il a une existence propre. En fait, il réalise le désir
du héros tragique, qui a
cru le monde créé pour lui, parce qu'en l'ayant découvert
à sa naissance, il n'a pas pu imaginer qu'il ait existé
auparavant. Ce royaume qui ne comptait pas moins
de neuf milliards d'habitants dans la jeunesse du prince, et qui se
réduit à l'heure de sa mort à quelques paralytiques
et débiles mentaux, témoigne de l'envahissement de la
mort à l'intérieur du Roi, mais d'une mort dont il est
responsable et qui rappelle la façon dont le
nouveau locataire s'était muré dans son appartement.
Comme la pierre tombée aux pieds
de Bérenger dans la cité radieuse, le mal a fondu
subitement sur le roi, et de façon inexplicable, par les douleurs
et les courbatures qu'il a ressenties dans son corps, alors que, dans
l'aveuglement de son désir, il s'en croyait à l'abri,
de même que le héros de "Tueur
sans Gages". Il voyait la mort autour de lui, dans les déserts
entourant son pays, déserts qui se retrouvent autour de la ville
de "Rhinocéros".
Lui aussi, ne pensant qu'à lui, avait oublié l'existence
des autres en se prenant pour le centre du monde, comme Marguerite le
laisse entendre :
"- Marguerite, à Marie : C'est bien la preuve
que son univers n'est pas unique"
(Id., p. 64).
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Mais maintenant, la mort
qui vient le chercher dans la solitude où il s'est enfermé,
lui redonne conscience des vies qui continuent alors que la sienne va
cesser. C'est toujours le même cercle vicieux qui se retrouve
ici : les pulsions agressives poussent l'individu à se séparer
d'une manière ou d'une autre de ses semblables, selon les moyens
qui sont à sa disposition, parce qu'il trouve en eux la finitude
qui est l'objet de son agressivité, et, lorsqu'il la retrouve
en lui, son angoisse lui fait désirer la présence des
autres. C'est pourquoi, le Roi, qui, jusqu'à présent,
ne s'était intéressé à ses semblables qu'en
fonction des services qu'ils pouvaient lui rendre, se met à poser
des questions à sa femme de ménage, Juliette, dont il
ne connaissait même pas le veuvage, au grand étonnement
de Marguerite, qui devine une puissance trouble à l'origine de
cet attendrissement subit :
"- Le Roi
: D'où viens-tu ? Quelle est ta famille ?
- Marguerite : Cela ne t'a jamais intéressé.
- Marie : Il n'a jamais eu le temps de lui demander.
- Le Médecin : Il veut gagner du temps."
(Id., p. 48).
|
C'est pourquoi aussi, la
vie envahit désormais les contrées désertiques
qui entouraient tout ce qui n'était pas "pour lui",
auquel il refusait l'existence :
"- Le Médecin
: Le printemps qui était encore là hier soir
nous a quittés il y a deux heures trente. Voici novembre.
Au-delà des frontières, l'herbe s'est mise à
pousser. Là-bas les arbres reverdissent. Toutes les
vaches mettent bas deux veaux par jour."
(Id., p. 17).
|
Ainsi, il est difficile de dire que Marie, Marguerite et les autres
personnages représentent chacun un aspect du Roi, et qu'ils n'ont
pas d'existence propre en dehors de l'univers du héros, car ce
monde existe réellement, il n'est pas uniquement imaginaire.
Mais Bérenger n'en saisit que ce qui peut servir son désir
d'en être le maître, de sorte qu'il le réduit peu
à peu à lui, en ne conservant que ce qui a des affinités
avec ses profondeurs cachées. Pour comprendre il paraît
bon de se placer à l'intérieur de la psychologie de Bérenger,
à l'intérieur du monde qu'il saisit, et de suivre sa désintégration.
En effet, Marie, Juliette, le Garde, le Médecin disparaissent
non parce qu'ils se sont évaporés, mais parce que, inconsciemment,
le Roi n'a plus voulu d'eux :
"- Marguerite
: Ils ont décroché. C'est que tu l'as voulu.
- Le Roi : Je n'ai pas voulu.
- Marguerite : Ils n'auraient pas pu s'en aller si tu ne l'avais
pas voulu. Tu ne peux plus revenir sur ta volonté.
Tu les a laissés tomber."
(Id., p. 69).
|
Son refus
d'admettre sa responsabilité dans la disparition de son entourage
est au coeur du tragique de la
pièce, puisqu'elle l'amène à la mort sans qu'il
s'en aperçoive. La présence des personnages indique qu'ils
ont avec le héros une affinité d'autant plus profonde
qu'ils resteront longtemps. Or, c'est Marguerite qu'il déteste,
qui sera présente avec lui jusqu'à la mort, tandis que
la femme aimée le quittera la première de tous.
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La signification de la pièce devient alors beaucoup plus dense,
car Marie et Marguerite représentent deux tendances fondamentales
dans les créations féminines de Ionesco. La première
incarne l'amour qui veut faire sentir à Bérenger l'infini
de la vie, tandis que la seconde incarne la logique, c'est à
dire la volonté de définir et de finir la vie, d'y introduire
la mort. Et pour la première fois, Ionesco les oppose jusqu'à
découvrir que son personnage veut se séparer de celle
qu'il préfère, pour rester avec celle qu'il hait, et sur
les mobiles de laquelle il ne se fait pas d'illusion :
"- Le Roi
: Qui donc a pu donner des ordres pareils sans mon consentement
? Je me porte bien. Vous vous moquez. Mensonges. (A
Marguerite). Tu as voulu ma mort. (A
Marie). Elle a toujours voulu ma mort. (A
Marguerite). Je mourrai quand je voudrai, je suis le
Roi, c'est moi qui décide."
(Id., p. 23).
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Le chaos de la logique est
très sensible chez cette femme. Tout un monde trouble s'agite
sous l'apparente clarté de ses explications scientifiques. Elle
se défend trop de ne pas être jalouse de sa rivale heureuse
pour être crue :
"- Marguerite
: Cette influence détestable que vous avez eue sur
lui. Enfin ! Il vous préférait à moi,
hélas ! Je n'étais pas jalouse, oh, pas du tout.
Je me rendais compte simplement que ce n'était pas
sage."
(Id., p. 13).
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En outre, elle ne cache pas
son orgueil, lorsqu'elle veut faire de cette mort un triomphe qui soit
son oeuvre propre, par lequel elle se venge des humiliations qu'elle
a subies :
"- Marguerite
: Qu'il ne recule pas ou gare à vous. Il faut que cela
se passe convenablement. Que ce soit une réussite,
un triomphe. Il y a longtemps qu'il n'en a plus eu."
(Id., p. 15).
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Jalousie et orgueil relèvent
d'une même agressivité, suscitée par la volonté
d'écraser dans la mort l'obstacle de la puissance vitale de l'amour,
que la science ne parvient pas à réduire à ses
lois. La joie sinistre qui éclate dans les paroles de Marguerite,
heureuse de montrer à Marie le terme de la vie du Roi, trahit
la noirceur de ses mobiles :
"- Marguerite
: Nous n'avons pas le temps de prendre notre temps. Fini de
folâtrer, finis les loisirs, finis les beaux jours,
finis les gueuletons, fini votre strip-tease."
(Id., p. 14).
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Elle met tout son bonheur
à transformer en cérémonie funèbre les joyeux
festins des époux royaux :
"- Marguerite
: Nous aurons cependant besoin de vous pour les étapes
de la cérémonie. Vous aimez les cérémonies."
(Id., p. 13).
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Il est intéressant
de remarquer la correspondance entre le besoin de définition
et donc de finitude inhérent à toute démarche
rationnelle, et la volonté de mort qui domine Marguerite. Et,
de fait, cela se vérifie dans la corrélation existant
entre les diverses fonctions du médecin qui la conseille. Ce
représentant de la "science qui ne fait pas de miracles"
est tout à la fois médecin-chirurgien-bourreau-bactériologue-astrologue,
c'est-à-dire que c'est par son intermédiaire que le
roi a décimé ses sujets et donc réduit son univers,
et qu'il se fait finalement exécuter en se livrant à
son pouvoir :
"- Le
Médecin : C'est une situation type qui ne peut pas
changer.
- Marie : C'est vrai, pas d'espoir, pas d'espoir. (en
regardant Marguerite). Elle ne veut pas que j'espère,
elle me l'interdit."
(Id., p. 17).
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Et bien sûr, Marguerite n'aurait pas une telle emprise sur
Bérenger, si son rationalisme ne correspondait pas en lui
à une aspiration qui est finalement sa raison d'être.
En effet, c'est lui qui a inventé les brouettes, les rails,
le chemin de fer, l'automobile, la fission de l'atome... (cf.
p. 57). En un mot, sa vie se confond avec l'essor de la science,
dans l'espoir de devenir le maître du monde, jusqu'au jour
où il a quitté Marguerite pour Marie. Mais a-t-il
vraiment oublié Marguerite, sa logique ? A-t-il aimé,
ou bien a-t-il cherché à dominer l'amour comme l'univers
? Le rêve du petit chat roux, datant des jours heureux passés
avec Marie est très significatif à cet égard,
car il révèle un désir de salir la pureté,
la beauté et le bonheur, identique à celui de sa première
femme lorsqu'elle se réjouit de sa mort et en accable Marie
:
"- Le
Roi : Il était féroce. Je lui ai donné
à manger, je l'ai caressé, je l'ai emmené.
Il était devenu le chat le plus doux. (...) C'était l'être le plus poli, une politesse
naturelle, un prince."
(Id., p. 59).
|
Ce petit
chat savait aussi être capricieux et venait tous les matins
dans le lit conjugal, il incarne en quelque sorte l'amour du roi
et de la reine, à qui il doit ce traitement de faveur, et
se confond avec Marie dans l'esprit du monarque, qui ne fait pas
de différence entre les sentiments d'un chat et de sa femme,
puisqu'ils sont de toutes façons pour lui et proviennent
d'êtres qu'il croit posséder :
"- Le
Roi : Ce que j'ai pu le regretter ! Il était bon,
il était beau, il était sage, toutes les
qualités. Il m'aimait, il m'aimait. Mon pauvre
chat, mon seul chat."
(Id., p. 60).
|
Lorsque
Bérenger rêve que ce chat, incarnation de la femme
aimée, est couché sur la braise, cela paraît
annoncer la vision de la femme du
brasier de "la Soif et la Faim" qui tend les bras à
Jean sans qu'il puisse la rejoindre, les braises ou le brasier
représentant le feu de l'amour dans lequel se sacrifie l'être
qui donne sa vie à l'autre. Il y a entre les deux pièces
une évolution de l'attitude des personnages : dans "la
Soif et la Faim", Jean restera incapable d'entrer dans le feu,
de se donner, il ne pourra pas supporter ce sacrifice, mais il ne
le niera pas, il reconnaîtra son existence.
Dans "le Roi se meurt", Bérenger va le nier. Le
petit chat roux sort des braises pour venir le rejoindre dans son
univers, mais il est devenu un vilain matou noir ressemblant à
Marguerite :
"- Le
Roi : Je rêvais de lui... Qu'il était dans
la cheminée, couché sur la braise, Marie
s'étonnait qu'il ne brûlat pas ; j'ai répondu
: "les chats ne brûlent pas, ils sont ignifugés.
Il est sorti de la cheminée en miaulant, il s'en
dégageait une fumée épaisse, ce n'était
plus lui, quelle métamorphose ! C'était
un autre chat, laid, gros. Une énorme chatte. Comme
sa mère, la chatte sauvage. Il ressemblait à
Marguerite."
(Id., p. 60).
|
En faisant
sortir le chat des braises, il a commis ce que Ionesco appelle un
sacrilège, toutes les fois qu'il a voulu se libérer
de l'amour de sa femme, ainsi qu'il le rapporte dans "Journal
en Miettes" (cf. J. M., p. 181).
Il a réduit Marie à Marguerite, c'est-à-dire
à lui-même, puisque sa première femme est l'incarnation
de son orgueil prométhéen. En réalité,
il n'a jamais quitté Marguerite, et n'a vécu avec
Marie que pour chercher à détruire son amour, à
le dépasser par son intelligence, c'est bien ce que paraît
exprimer ce rêve, qui satisfait ses pulsions les plus obscures.
Et, s'il préfère Marguerite à Marie, c'est
sans doute qu'il ne peut pas supporter son échec devant cette
seconde femme qui lui reste incompréhensible, qu'il ne peut
pas être heureux de déchirer et de griffer car elle
s'offre à ses dents, et n'engage pas la lutte comme la première.
|
|
La première épouse de Bérenger était l'âme
soeur, qui lui a rendu la vie intolérable parce qu'elle était
le reflet de lui-même. Car, toute sa vie, il a pris plaisir à
détruire des vies humaines, comme elle à définir
l'univers en mettant une barrière à la vie :
"- Marguerite
: Je dis : tu as fait massacrer mes parents, tes frères
rivaux, nos cousins et arrière-petits-cousins, leurs
familles, leurs amis, leur bétail. Tu as fait incendier
leur terre.
- Le Médecin : Sa Majesté disait que de toute
façon ils allaient mourir un jour."
(Id., p. 39).
|
Il a passé son existence
à chercher la mort, à la défier, lorsqu'il était
debout sur un char dans le combat, ou mieux, sur l'aile de l'avion de
chasse en tête de l'escadre. Il a toujours eu le désir
de percer le mur de la mort parce qu'il croyait qu'elle n'était
pas pour lui :
"- Le Roi
: Je la frôlais seulement. Elle n'était pas pour
moi, je le sentais."
(Id., p. 39).
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Il ne perdra d'ailleurs jamais
totalement cette illusion et c'est elle qui l'anéantira.
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C'est pourquoi il se révolte quand il trouve la mort sur son
chemin, alors qu'il l'a semée partout autour de lui et en lui,
en réduisant progressivement son royaume à un bout de
terre autour de son château, tandis qu'il s'étendait à
l'infini dans son enfance. Même sa chambre est envahie par les
toiles d'araignée sans qu'il puisse s'en débarrasser.
En croyant maîtriser le monde, il ne s'est pas aperçu qu'il
s'enfermait dans la connaissance qu'il en prenait, comme le
nouveau locataire dans ses meubles, comme Amédée
dans son cadavre et dans ses champignons, comme les habitants de
la cité radieuse dans leur maison, ou comme les Vieux des "Chaises" au milieu de l'eau. Aujourd'hui, la mort est dans la place, sa lucidité
la lui montre impitoyablement dans les signes objectifs qu'il était
heureux de voir chez les autres et qui l'emprisonnent et l'étouffent
de toutes parts :
"- Marguerite
: Les signes objectifs ne trompent pas. Vous le savez.
- Marie, regardant le mur : Ah ! Cette
fissure !
- Marguerite : Vous la voyez ! Il n'y a que cela. "
(Id., p. 12).
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C'est
de cela que le Roi se meurt, de ne pas avoir dépassé le
pouvoir rationnel, de ne pas avoir pu s'empêcher de désirer
être Dieu, ce qui ne signifie pas que la mort l'aurait épargné
autrement, mais qu'il l'accélère et qu'il en est l'artisan.
Marie le sent bien lorsqu'elle lui dit de s'échapper des définitions
qui l'asphyxient :
"- Marie
: Ne sois plus qu'une interrogation infinie : Qu'est-ce que
c'est, Qu'est-ce que... L'impossibilité de répondre
est la réponse même, elle est ton être
même qui éclate, qui se répand. Plonge
dans l'étonnement et la stupéfaction sans limites,
ainsi tu peux être sans limites, ainsi tu peux être
infiniment. Sois étonné, sois ébloui,
tout est étrange, indéfinissable. Ecarte les
barreaux de la prison, enfonce ses murs, évade-toi
des définitions. Tu respireras."
(Id., pp. 41-42).
|
Ces exhortations révèlent
une des préoccupations les plus profondes de Ionesco qui écrit
:
"Il
y a un plus lumineux, un énorme, aveuglant pourquoi qui efface tout, annule, détruit tout sens. Tout entendement
particulier. Lorsqu'on a compris on s'arrête, on s'en
tient à ce que l'on a compris. Je ne comprends pas.
Comprendre, c'est bien trop peu. Avoir compris c'est être
fixé ou figé. C'est comme si on voulait s'arrêter
sur une marche, au milieu d'un escalier, ou le pied dans le
vide et l'autre sur l'escalier sans fin. Mais un simple, un
nouveau pourquoi peut faire repartir, peut dépétrifier
ce qui est pétrifié, et tout recommence à
couler? Comment peut-on comprendre ? On ne peut pas."
(Journal en Miettes, Ionesco, Ed.
Mercure de France, 1967, p. 43).
|
|
|
Mais comprendre cela c'est encore trop, c'est se livrer aux griffes
de la logique, et là, réside sans doute la faiblesse de
Marie, qui n'a pas eu la force suffisante pour se taire, et ne pas donner
une pâture à l'intelligence destructrice de son époux.
Elle entre dans son jeu, lui recommandant une lucidité qu'elle
croit supérieure à celle de Marguerite, sans s'apercevoir
que lui et sa première épouse ne font qu'un :
Lorsqu'elle lui rappelle
le bonheur qu'ils ont vécu dans leur amour, il ne comprend pas,
mais il n'a jamais voulu comprendre, Marguerite le sait bien :
"- Marie
: Cette resplendissante aurore était en toi. Si elle
l'était, elle l'est toujours. Retrouve-la. En toi-même,
cherche-la.
- Le Roi : Je ne comprends pas.
- Marie : Tu ne te comprends plus.
- Marguerite : Il ne s'est jamais compris."
(Id., p. 42).
|
En se débarrassant
de ce qui le gêne et en cherchant dans les paroles de Marie une
solution qui lui permette de continuer à dominer sa condition,
à y répandre la finitude de sa logique, il continue à
se couper du sentiment et donc de la vie par le pouvoir de son esprit,
il continue à ne voir qu'un vilain matou noir dans le petit chat
roux, à ne voir que calcul dans l'amour. A partir du moment où
Marie est entrée sur le terrain de la logique, elle est vaincue,
elle est dominée comme le Roi par l'apparente clarté de
l'objectivité, obéit à Marguerite et perd toute
influence sur son époux et sur elle-même, devient inconsistante,
parce qu'elle sent que sa présence n'apporte plus rien à
Bérenger :
"- Le Roi
: Je meurs. Je ne peux pas. Je meurs.
- Marie : Ah ! Je perds mon pouvoir sur lui.
- Marguerite, à Marie : Ton charme
et tes charmes ne jouent plus."
(Id., p. 53).
|
Bientôt la seconde épouse disparaîtra car l'amour
ne répond plus à rien dans le coeur du Roi, qui n'a pas
pu s'en rendre maître par l'intelligence, et qui fuit cet ennemi
de son désir. Il resserre l'étau mortel autour de lui
en réduisant son royaume, en même temps que le nombre des
êtres dont il accepte la présence. Les trous s'agrandissent,
les murs se fissurent, les ministres sont tombés dans le ruisseau,
l'ennemi est aux portes de la cité. En fait, comme dans "Tueur
sans Gages", l'ennemi est en lui, c'est son orgueil, mais il
refuse de le comprendre, de se comprendre, et, dans son aveuglement,
il se livre à ses propres ténèbres qui sont les
véritables espions.
|
|
La douleur et la faiblesse l'accablent et le font tomber d'autant plus
puissamment qu'il se révolte contre elles ; c'est bien son agressivité
qui précipite sa chute :
"- Le Garde
: Le Roi marche, vive le Roi !
Le Roi tombe.
- Juliette : Il tombe.
- Le Garde : Le Roi tombe, le Roi meurt.
Le Roi se relève.
- Marie : Il se relève."
(Id., p. 47).
|
Ayant rejeté le sentiment
au profit de la logique, il est dominé par la conscience de la
mort dont il s'est entouré et qui est en lui, incarnée
par le rationalisme de Marguerite et du Médecin ; il ne voit
plus que la mort et la finitude de la science qui l'a "condamné",
le mot est très significatif. Le pouvoir lui échappe,
il passe du côté du bourreau et de sa première épouse.
Mais, en réalité, cette passation de pouvoir enlève
toute équivoque ; elle révèle que Bérenger
n'a jamais choisi librement sa vie, qu'il a toujours été
le jouet de ses pulsions dominatrices. Il n' a fait que conserver l'illusion
de la toute-puissance tant qu'il les dirigeait vers l'extérieur,
désormais, elles se retournent contre lui :
"- Le Médecin
: Cela est venu tout d'un coup, vous n'êtes plus maître
de vous-même. Vous le constatez, Sire. Soyez lucide."
(Id., p. 27).
|
Et Marguerite dira au Garde
:
"- Marguerite
: Il ne peut pas. Il ne peut plus obéir qu'aux autres.
Garde, fais deux pas. (Le Garde avance de deux
pas). Garde, recule."
(Id., p. 27).
|
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Illusion du dépassement de la mort par la connaissance objective,
précipitation de la fin
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Mais le Roi ne s'abandonne au pouvoir de l'intelligence que par une
illusion ultime ; jusqu'à la fin, il croira à son éternité,
aveuglé par sa foi en une solution rationnelle à sa
condition. Il se sépare de Marie, de Juliette et du Garde,
qui lui veulent du bien, qui oublient ses crimes, car il ne comprend
pas le pardon ; et il reste avec les seuls êtres qui veulent
sa mort car il les comprend : Ils reflètent sa raison de vivre.
Il se ferme en lui, seul endroit qu'il croit à l'abri de la
finitude, et il devient sourd et aveugle. En fait, il se prive progressivement
de tout sentiment, comme il s'est déjà séparé
de ceux qu'il aimait, parce qu'il voit dans les attaches au monde
une source de mort, comme Madeleine dans "Amédée
ou Comment s'en débarrasser", et parce que son orgueil
lui fait croire trouver dans la clarté de la pensée,
indépendante de l'humanité, l'éternité
de la vie.
En choisissant la lucidité, il manifeste le désir, inhérent
à toute logique, de dépasser la finitude par l'esprit.
Des pages de "Journal en Miettes" révèlent la force de cette illusion, chez Ionesco :
La pensée est un
constant défi à la mort, elle croit pouvoir passer impunément
de l'autre côté du mur. Les rêves de ionesco trahissent
ce désir de briser le mur, et, chaque fois, il se retrouve
dans les ténèbres qui l'écrasent.
Mais, dans "le Roi se meurt", les mobiles de ce comportement
s'éclaircissent. En effet, l'être humain croit, en rompant
toute attache avec la terre, en ne sentant donc plus rien, pouvoir
devenir une conscience pure qui se fond dans une conscience universelle,
réalisant ainsi son désir d'atteindre la toute-puissance
par l'intelligence. L'auteur a inséré dans "Journal
en Miettes" des fragments de cette pièce qui sont
très révélateurs à cet égard :
"Y a-t-il une conscience universelle ? Tout est-il conscience ? La pierre est-elle une conscience
qui dort, comme le pensait je crois Leibnitz ? Ni Planck,
ni Eisenberg, ni Eisenstein, ni de Broglie ne repoussent
l'idée d'une conscience universelle, cosmique. Il
y aurait un plan, une intention. S'il y a intention, il
y a conscience. Tous les savants n'excluent pas l'idée
d'un Dieu qui serait cette conscience."
(Id.,
p. 78).
|
Et, la fin de "la
Vase", où le héros vit une expérience
similaire, puisque tout son corps se dissout précisément
dans la vase, permet de comprendre l'espoir qui dirige le Roi lorsqu'il
abandonne son corps à Marguerite :
"Les
cris et les sanglots et les flammes et les images de sang
brûlant s'adoucissaient, fondaient dans une grisaille
sans contour. J'étais devenu une lucidité
pure, sans inquiétude, une conscience qui enregistre.
Le bras gauche s'était défait à son
tour en même temps que se défaisaient les derniers
restes de la sensibilité, de la souffrance physique.
Où pouvait loger la conscience ? J'étais là,
cependant, un oeil, une boîte crânienne et un
coeur qui battait de moins en moins vite. L'eau, la boue
devaient avoir monté, car je ne vis plus rien, soudain,
de mon corps. Si, tout de même, un vague contour,
quelque chose comme une ombre. La peur avait disparu depuis
longtemps, et le désir. Non, non, pas tout à
fait. J'avais tout raté bien sûr. Mais je recommencerai,
me dis-je."
(La Vase, Ionesco,
in la Photo du Colonel, Ed. Gallimard, nouvelle, 1962, pp.
166-167).
|
Ce texte montre bien la
volonté de se débarrasser du sentiment, de la sensibilité
et donc du corps, pour devenir cette conscience pure qui va dépasser
la mort, et qui est, en réalité, le fruit du désir
dont il ne parvient pas à se libérer, et dont il reconnaît
la domination sur lui jusqu'au seuil ultime, où il croit pouvoir
recommencer, et, cette fois, réussir à dominer le monde,
sans comprendre que c'est précisément ce désir
qui l'anéantit.
C'est pourquoi il attend le salut de l'être qu'il déteste,
nourrissant l'espoir fou de trouver dans la mort la solution de sa
vie. Comme le Policier à Choubert ("Victimes
du Devoir"), comme Tarabas à Jean ("la Soif et
la Faim"), comme le professeur à l'élève
("la Leçon"),
Marguerite ne dit-elle pas au Roi qu'elle veut son bien (cf.
le Roi se meurt, p. 71) ? Cette affirmation prend maintenant une
dimension nouvelle, le personnage tragique ne l'accepte que parce qu'elle correspond aux mobiles profonds qui
ont dirigé sa vie et qui lui ont fait placer sa foi en lui-même,
et en ceux en qui il se reconnaissait, il l'accepte parce qu'elle
satisfait son amour-propre.
|
|
L'essence
de toute logique pousse l'être humain à devancer la vie,
à se placer à l'intérieur de la mort pour se donner
l'impression de la dépasser. La pensée empêche de
sentir et donc de vivre l'instant présent, c'est pourquoi le
Roi ne comprend pas Marie lui disant de vivre sa vie jusqu'au bout,
dans le sentiment de la plénitude du temps qui s'écoule,
au lieu de la perdre (dans "Jeux
de Massacre", le Vieux en comprendra la nécessité
lorsque sa femme sera à sa dernière extrémité)
:
"- Le Roi
: Ce qui doit finir est déjà fini.
- Marguerite : Tout est hier.
- Juliette : Même aujourd'hui c'était hier.
- Le Médecin : Tout est passé.
- Marie : Mon chéri, mon Roi, il n'y a pas de passé,
il n'y a pas de futur. Dis-le toi, il y a un présent
jusqu'au bout, tout est présent, sois présent.
Sois présent.
- Le roi : Je ne suis présent qu'au passé."
(Le Roi se meurt, Ionesco, Ed. Gallimard,
Théâtre IV, 1966, p. 41).
|
Vivant du désir de
dominer le monde par son intelligence, il ne ressent que le manque et
l'insuffisance du présent. Son désir se nourrit de ce
manque le précipitant vers la mort qui va bientôt l'anéantir,
car, par la connaissance objective qu'il a de cette mort, il se figure
l'avoir intégrée dans sa vie et la vivre déjà,
comme Edouard ("Tueur sans Gages")
enfouissant ses connaissances dans sa serviette pour se sentir en sécurité,
en dehors du temps, de la vie et de la mort.
Pour la première fois, Ionesco va impitoyablement
jusqu'au fond de ce désir de faire de la pensée la source
de la vie, c'est-à-dire jusqu'au fond de l'illusion par laquelle
l'individu, espérant pouvoir découvrir la logique du monde,
croit en devenir le créateur. Marguerite écarte de Bérenger
tout ce qui fait appel au sentiment, et, pour commencer, son intérêt
subit pour le sort de Juliette, puis la vue et l'ouïe :
"- Le Roi
: Je suis... Des bruits, des échos émergent
des profondeurs, cela s'éloigne, cela se calme. Je
suis sourd."
(Id., p. 69).
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Bien sûr, il s'agit
là d'une nécessité jaillie des profondeurs du Roi,
que cette femme ne fait que représenter. En effet, le héros
de "la Vase" explique que, les
bruits de la vie lui devenant insupportables, sa surdité fut
une réaction de défense instinctive :
"Des cris,
comme des couteaux semblaient briser mes tympans ; j'entendais
les feuilles s'abattre, lourdes comme des pierres ; les bruissements
des arbres comme des déchirures de l'air, là,
tout près. Par une réaction de défense
instinctive, je devins tout à coup à moitié
sourd. "
(La
Vase, Ionesco, in la Photo du Colonel, Ed. Gallimard, nouvelle,
1962, p. 139).
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L'instinct
est une justification très trouble qui permet au personnage tragique de s'aveugler sur les pulsions qui ont commencé par lui rendre
le monde insupportable, alors que celui-ci n'a pas changé. La
fermeture à l'univers de l'être agressif, qui était
manifeste dans toutes les oeuvres de Ionesco, trouve ici une explication
des plus secrètes dans le refus de toute attache sensible pour
échapper à la condition humaine par l'esprit. Mais, dans
cette voie, l'objectivité de Marguerite talonne le Roi sans répit,
et le pousse à s'évader du souvenir lui-même, qui
est encore un lien avec cet univers :
"- Le Roi
: Je ne sais plus ce qu'il y avait autour. Je sais que j'étais
plongé dans un monde, ce monde m'entourait. Je sais
que c'était moi et qu'est-ce qu'il y avait, qu'est-ce
qu'il y avait ?
- Marguerite : Des cordes encore t'entrelacent que je n'ai
pas dénouées. Ou que je n'ai pas coupées.
Des mains s'accrochent encore à toi et te retiennent."
(Le Roi se meurt, Ionesco, Ed. Gallimard,
Théâtre IV, 1966, p. 70).
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Bérenger, en assimilant
la conscience du monde à la conscience de soi ("Moi. Moi.
Moi", Le Roi se meurt, p. 70), rejette
tout autre existence que la sienne. Mais c'est encore de trop, il n'a
plus besoin d'affirmer son "moi", puisqu'il n'y a plus personne
d'autre que lui. Il doit se débarrasser d'une besace, de "godasses
de rechange", d'une carabine, de tout ce qui lui permettait de
se défendre contre le monde extérieur, puisque ce dernier
n'existe plus, et "qu'on ne (lui) veut plus que du bien",
car tout satisfait son désir qui est sa raison de vivre. Il doit
se défaire de tous ses biens, par lesquels il eut l'impression
de concrétiser sa supériorité sur l'humanité,
car cela le rattache aussi aux autres :
"- Marguerite
: Ne tiens pas le poing serré, écarte les doigts.
Que tiens-tu ? (Elle lui desserre les doigts). C'est tout son royaume qu'il tient dans la main. En tout petit
: des microfilms... des graines. (Au Roi). Ces graines ne repousseront pas, la semence est altérée,
c'est de la mauvaise graine. Laisse tomber, défais
les doigts, je t'ordonne de désserrer les doigts, lâche
les plaines, lâche les montagnes."
(Id., pp. 71-72).
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Bérenger ne se résigne
en aucune manière, il ne se laisse déposséder de
ses possessions par sa lucidité que parce qu'il est séduit
par l'appât d'une puissance bien supérieure :
"- Le Roi (les yeux fermés et avançant
toujours tenu par la main) : L'empire... A-t-on
jamais connu un tel empire : deux soleils, deux lunes, deux
voûtes célestes l'éclairent, un autre
soleil se lève, un autre encore. Un troisième
firmament surgit, jaillit, se déploie ! Tandis qu'un
soleil se couche, d'autres se lèvent... A la fois l'aube
et le crépuscule... C'est un domaine qui s'étend
par-delà les réservoirs des océans, par-delà
les océans qui engloutissent les océans."
(Id., p. 72).
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Pas un instant, le Roi ne
comprendra qu'il va mourir. Comment le pourrait-il puisqu'il croit avoir
dépassé la mort par la connaissance qu'il en a eue ? Au
contraire, son désir qui l'amène à l'anéantissement,
l'éblouit d'autant plus puissamment que sa fin est proche, par
les empires extraordinaires d'une immortalité bienheureuse, dans
laquelle Bérenger se croit déjà installé.
Mais la logique est toujours là, qui n'est pas dupe, elle. Les
couleurs sont encore de trop et elle prend les devants, de même
que le cadavre qui entraînait
Amédée dans les airs (cf. "Amédée ou
Comment s'en débarrasser"), en écartant du Roi
tout ce qui pourrait attirer son imagination : le loup, la vieille,
les pâquerettes... (cf. Le Roi se meurt,
p. 72-73). Comme la vase de la nouvelle, elle dépossède
le Roi de la parole, puis de son corps :
"- Marguerite (le Roi est immobile, figé comme une
statue) : Et voilà, tu vois, tu n'as
plus la parole, ton coeur n'a plus besoin de battre, plus
la peine de respirer. C'était une agitation
bien inutile, n'est-ce-pas ? Tu peux prendre place. (Disparition
soudaine de la reine Marguerite par la droite)."
(Id., pp. 73-74).
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Le pouvoir
rationnel, qui disparaît lui-même en la personne de la reine
car il n'a plus de raison d'être (Bérenger étant
mort), et dont la disparition précède l'engloutissement
du Roi dans "une sorte de brume", résume tout le tragique de la pièce. L'esprit qui cède au désir s'anéantit
dans le moment même où il croit atteindre son but et se
diviniser.
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"Le nouveau
Locataire" a révélé que tout système
est une tentative de l'être humain pour réduire le monde
à son entendement, tentative qui lui donne l'illusion de la sécurité
en lui faisant croire que, par son intelligence, il a dépassé
sa condition. Mais il s'avère qu'il court à la mort en
mettant son orgueil à la dominer. Il s'agit d'un nouveau stade
du tragique, où, désormais,
l'ennemi est connu : c'est la finitude de l'existence, et la révolte
cède la place à la raison dans la lutte contre cet obstacle. "Rhinocéros" dénonce de façon systématique la puissance irrationnelle
qui est à la source de toute logique, et, par sa systématisation
même, crée une logique du chaos tout aussi ténébreuse,
ce qui sera le sujet du "Piéton
de l'Air", qui constitue en quelque sorte une vérification
par l'absurde de l'impossibilité pour l'individu, non pas de
ne pas penser, puisque cela fait partie de sa condition, mais de pouvoir
découvrir une vérité quelconque par son esprit,
et encore moins la Vérité qu'il cherche. Cette pièce
démontre une nouvelle fois que la personne croyant au seul pouvoir
de son intelligence, et étant incapable de dépasser cette
dernière, se perd en la perdant, car elle sombre dans l'obscurité
criminelle de la nuit intérieure qui l'enveloppe. L'humain ne
peut rien dominer, il peut seulement comprendre qu'il doit maîtriser
son orgueil par son intelligence. "Le Roi se meurt" fouille
impitoyablement ce désir, inhérent à la logique,
de dominer le sentiment. Et il s'avère que l'être rationnel
ne peut pas supporter la présence de la femme aimée qui
lui apporte le bonheur, parce qu'il ne parvient pas à réduire
l'amour à son entendement, et qu'il se heurte à un mur
infranchissable résistant à sa volonté de maîtriser
l'univers, de sorte qu'il fuit ce qui le gêne pour rester avec
la femme qu'il déteste. En effet, il se retrouve en elle et il
la comprend pour cette raison. Il a par conséquent avec elle
l'illusion de la sécurité, que lui donne tout ce qui se
plie à sa logique. Il n'a confiance qu'en lui, et Marguerite
est un autre "lui-même", parce que son orgueil lui fait
croire que seule son intelligence peut lui permettre d'échapper
à la mort.
L'attitude rationnelle vise paradoxalement à définir sa
vie, à y introduire des limites, en se sentant à l'abri
dans les murs que le héros tragique a construits, et en pensant accéder grâce à eux
à l'infinité de l'espace et à l'éternité
du temps, parce que ces frontières dissimulent le chaos ténébreux
qui les fait exister. En définissant, en introduisant la mort
partout autour de lui, l'homme s'en croit à l'abri parce qu'il
oublie de regarder en lui, et de voir que c'est lui-même qu'il
détruit à travers les autres. Bien plus, il ne se sent
en sécurité dans sa logique que parce qu'il a l'impression
de dépasser la finitude par la connaissance objective, que, seule,
il accepte. En organisant le monde, il croit dominer le système,
alors qu'il s'y enferme, il croit avoir pénétré
le royaume de la mort parce qu'il l'a assimilé. Cette illusion
se retrouve dans "Tueur sans Gages",
où le héros, en voulant dépasser le temps, a l'impression
de s'être transporté dans l'immuabilité d'un temps
figé comme les lois de l'esprit, mais il sera trop tard,
lorsqu'il s'apercevra de son erreur.
"Le Roi se meurt" révèle, que, l'ennemi véritable
de l'être humain, celui qui le conduit à la mort, c'est
son intelligence, lorsqu'elle est mue par des pulsions agressives qui
lui font tirer une logique de la vie. Il s'asphyxie dans le "il
faut", et quand il dit, comme Bérenger dans "le
Piéton de l'Air" : "Il ne faut pas de "il faut"",
il ne sort pas de cette force qui l'écrase ; La seule solution
possible est dans le dépassement de la logique, dépassement
de l'agressivité par l'amour. C'est-à-dire que l'individu
se trouve dans l'obligation de renouer toutes ses attaches avec le monde
par la sensibilité et le sentiment et de ne plus chercher à
le comprendre. Il lui faut s'oublier, et ce nouveau "il faut"
n'est plus une loi de l'esprit car rien ne le justifie rationnellement,
seulement il se trouve, comme Ionesco l'approche de plus en plus, qu'en
vivant ainsi, l'individu est inondé de bonheur et de jeunesse,
et que pour cela il doit s'abandonner à la puissance supérieure
de l'amour.
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Résolution
optimale 800 x 600 (image de fond à la taille de l'écran) |
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