SOMMAIRE MUSIQUE IONESCO
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Alain Bouhey
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LE TRAGIQUE
CHEZ
EUGENE IONESCO


(Maîtrise de Lettres Modernes, soutenue en Juin 1971
à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Dijon, où elle est consultable
en B.U. Droit-Lettres sous les cotes 191513 et 191513 bis,
auteur : Alain BOUHEY, professeur : Monsieur François GERMAIN,
commentaire : "travail plus proche d'une thèse de IIIème cycle [sur 3 ans]
que d'un mémoire de maîtrise [sur 1 an]"

mention : Très Bien.)






"- Le Père : [...] Il n'y a rien mon enfant, tu n'as laissé aucun message, tu as bafouillé des balbutiements, des semblants de mots, tu te prenais peut-être pour un prophète, pour un témoin, pour l'analyste de la situation. Aucune situation n'apparaît claire, le vide."
(Voyages chez les morts, Ionesco, Gallimard, Théâtre complet, bibliothèque de la Pléiade, 2002, p. 1301).



"- Jean : Je m'étais imaginé un certain temps que j'avais mis quelque chose, il n'y a rien. Depuis quelque temps déjà, je me rendais compte que tout ceci n'avait été que de la paille, de la paille pourrie."
(Id.).
"- Le Père : Ne t'en fais pas, personne n'a réussi à ne rien faire, le monde n'est à personne, le monde est à Satan, si Dieu ne le lui arrache de ses mains, Il est le seul à pouvoir donner un sens à la création que Satan a salie et barbouillée, et cassée. Tout cela sera peut-être lavé et réparé et on y comprendra quelque chose."
(Id., p. 1301).






II.- REVOLTE CONTRE
LA CONDITION HUMAINE




3.- Révolte contre l'amour :

AMEDEE OU
COMMENT S'EN DEBARRASSER








INTRODUCTION
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Si l'amour apparaît, dès "Victimes du Devoir", comme la solution du tragique, "Amédée ou Comment s'en débarrasser" dévoile ce que laissait pressentir l'impossibilité de Choubert à accepter la nécessité du pardon : Le fondement du tragique est une révolte contre l'amour, car l'agressivité quelqu'elle soit, étant refus de tout, et surtout d'elle-même, est l'ennemie de ce sentiment, qui est, lui, accueil et acceptation. L'amour et le désir s'excluent l'un l'autre comme le jour et la nuit.






LA NUIT DE NOCES
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Ténèbres de Madeleine, rêve d'Amédée
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Au milieu de la pièce, lorsque Amédée et Madeleine ont décidé de se débarrasser du mort qui envahit leur demeure, tandis qu'ils ne savent pas comment attendre l'heure à laquelle ils doivent agir, ils sombrent tous deux dans un rêve éveillé qui leur fait revivre leur nuit de noces, dans ce lit-même où ils ont installé le cadavre. Cette scène permet de saisir la source du tragique de l'oeuvre, qui aboutira à l'envol d'Amédée dans le rêve, et à l'anéantissement de la volonté de son épouse.

A l'appel d'Amédée, tendant les bras vers sa femme s'oppose d'emblée le dégoût de celle-ci qui le rejette avec violence :

"- Amédée II : Madeleine ! Madeleine !
- Madeleine II : N'approche pas. Ne me touche pas. Tu piques, piques, piques. Tu me fais ma-al ! Qu'est-ce que tu veu-eu-eux ! Où vas-tu ? Où vas-tu ? Où vas-tu ? Où vas-tu ?"
(Amédée ou Comment s'en débarrasser, Ionesco, Ed. Gallimard, Théâtre I, 1954, p. 286).
La première réaction de Madeleine est de rejeter les caractéristiques physiques de l'homme, et de refuser de partager sa vie avec un être qui ne soit pas elle. A partir de ce moment-là, elle se ferme complètement à lui, en même temps qu'à l'univers qui l'entoure, transformant en nuit, en pluie et en boue, la pureté de l'enchantement d'Amédée, et ressentant toute pénétration de son être comme une atteinte criminelle, ne serait-ce que par la voix de son mari, chantant d'allégresse :
"- Madeleine II : Ne chante pas avec ta voix fausse. Tu me déchires les oreilles.
- Amédée II : la, li, la, li, la, la, la, la !...
- Madeleine II, criant : Ne crie pas... Ne crie pa-a-as !... Quelle voix stridente ! Tu me perces les oreilles ! Tu fais ma-a-al ! Ne déchire pas mes ténèbres ! Sadi-ique ! Sa-di-i-ique !"
(Id., p. 287).
Dans l'exacerbation de sa répulsion, toute sensation lui donne l'impression d'un viol ; et, du viol au meurtre, il n'y a qu'un pas qu'elle franchit vite :
"- Madeleine II : Ne tirez pas !... Ne tirez pas !... Les baïonnettes, les mitrailleuses... Ne tirez pas, j'ai peur !...
-Amédée II : Les gens s'embrassent.
- Madeleine II : Ne me tuez pas... pitié, je vous implore... Ne le tuez pas, ne les tuez pas... pitié pour les enfants !"
(Id., p. 287).
Par une illusion tragique, l'agressivité de Madeleine lui fait prendre l'acte d'amour et donc de vie pour un acte de mort. Il n'y a là que la première ébauche d'une vision qui se précisera dans "la Soif et la Faim", où Jean, fuyant les attaches du sentiment, dans lesquelles il croit s'enliser et mourir lentement, espère échapper à la mort en gagnant les contrées du rêve ; mais elles sont désertiques et il s'y dessèche, tandis que sa femme, restée chez eux, rayonne de jeunesse quand il la revoit, quinze ans plus tard. Ainsi donc, le théâtre de Ionesco découvrira progressivement que le sentiment d'amour est source de vie, en permettant à l'individu de puiser dans le foisonnement de la nature environnante, une sève qui nourrit son être. Seulement, le travail des puissances obscures vise à le tromper en lui montrant la mort partout à l'extérieur de lui, dans ses échanges vitaux avec l'univers, si bien que, par cette illusion, elles introduisent lentement le poison mortel en lui, tandis qu'il croit s'en préserver.

Il n'est pas étonnant que les caresses de son mari deviennent pour elle des coups de fouet ou de lianes qui la cinglent ; bien plus, elle affirme le néant du monde, c'est-à-dire l'inexistence de tout ce qui n'est pas elle :
"- Madeleine II : Je sombre dans la nuit ! Epaisses ténèbres !... à couper au couteau... Je ne veux pas, je ne veux pas... J'ai peur ! Aaah !...
- Amédée : Madeleine...
- Madeleine II : Qui fait pousser aux arbres ces feuilles dures, ces branches cinglantes, ces lianes ?! C'est toi qui fais ça, misérable, miséra-a-able !"
(Id., p. 288).
En réalité, les ténèbres qu'elle voit tout autour d'elle et dont elle a peur qu'on les coupe au couteau, ce sont ses ténèbres intérieures, qu'elle défendait déjà contre la voix de son mari en le traitant de "sadique". Ne pensant qu'à elle, ne voyant qu'elle, elle est écrasée par les pulsions qui grouillent en ses profondeurs, et vit un véritable enfer :
"- Madeleine II : Aaah ! Aaah ! (Sanglots)... Du feu, de la glace... Du feu... Ca descend en moi. Ca m'entoure. Ca m'enveloppe du dedans, du dehors !... Je brû-ûle ! Au secours... Alidulée !... Alidulée !... Alidulée !... Au secours, Alidulée !... "
(Id., p. 287).
Les cris incompréhensibles qu'elle pousse dans sa fuite (déformation d'Amédée, l'Amédée-acidulée qu'elle rêva ?), ces cris dénoncent l'emprise sur elle de l'irrationnel, qui anéantit son intelligence, et la rend inférieure à la bête. Ionesco indique en effet que, de plus en plus, les voix doivent être
"plaintives, inhumaines, irréelles, ressemblant à des cris d'animaux souffrants."
(Id., p. 285).

Amédée, quant à lui, vit dans un rêve de pureté :
"Amédée II : Madeleine, réveille-toi, ouvrons les rideaux, c'est l'aurore du printemps... Réveille-toi... Le soleil inonde la chambre... Lumière de gloire... Chaleur douce !..."
(Id., p. 286).
Sans aucun égard pour les tourments qu'il inflige à sa femme, il ressent la plénitude d'un bonheur intense. Lui non plus ne sort pas de lui, et se conduit comme si rien d'autre n'existait en dehors de sa conception du monde et de l'amour, jusqu'à l'assouvissement de son désir, à partir duquel il se laisse abattre par le dégoût de Madeleine :
"- Amédée II : De verre, de lumière, de verre, de lumière...
- Madeleine II : De fer, de nuit, de nuit...
- Amédée II : Hélas, le fer, la nuit..."
(Id., p. 290).
Il finira par mêler ses cris à ceux de sa femme :
"- Madeleine II, Amédée II, ensemble : : Alidulée... Alidulée... Au secours, Alidulée... "
(Id., p. 291).
Il sombre donc, lui aussi, dans le même enfer que son épouse, ce qui laisse pressentir qu'il est victime de la même erreur, bien que de façon différente. Le rêve l'a séduit en l'isolant de la vie, il est une manière pour lui de s'affirmer et donc d'obéir à ses pulsions agressives, si bien qu'Amédée en est victime d'une façon beaucoup plus subtile et sournoise. C'est très sensible dans sa réaction vis-à-vis de Madeleine, une fois qu'ils seront sortis du cauchemar éveillé qu'ils viennent de faire :
"- Amédée : Madeleine, pauvre chose endolorie. (A l'air de se diriger vers Madeleine). Sais-tu, Madeleine, si nous nous aimions en vérité, si nous nous aimions tout cela n'aurait plus aucune importance. (Joignant les mains). Aimons-nous, Madeleine, je t'en supplie. Tu sais, l'amour arrange tout, il change la vie. Le crois-tu, me comprends-tu ?"
(Id., p. 291).
Amédée croit en la vérité de l'amour, il pense que c'est leur seule possibilité de salut. Mais, au lieu de le prouver par ses actes et d'aimer son épouse, il attend d'elle qu'il reconnaisse le bien fondé de sa théorie, et qu'elle l'aime ; il ne fait pas un pas vers elle. Ses supplications paraissent dûes à une agressivité obscure, par laquelle il cherche à faire cèder sa femme, à qui son orgueil blessé n'a jamais pardonné leur nuit de noce, sans reconnaître la part de responsabilité qui lui revient dans cet acte, où il n'a fait, ni plus ni moins, que la violer. Sa connaissance de la vérité de l'amour ne lui vient donc pas d'un contact avec la réalité extérieure, mais de ses rêves, où, en satisfaisant ses désirs, c'est lui-même qu'il aimait en fait. C'est pourquoi il confond l'amour qui est don total de soi avec l'amour-propre, qui est attente de tout pour soi. Il espère que Madeleine va faire le jeu de son désir et entrer dans son monde intérieur, comme Jean dans "la Soif et la Faim", croyant pouvoir retrouver Marie-Madeleine dans les déserts de son imagination, après avoir fui sa présence bien réelle. Amédée veut réduire son épouse à sa personne, afin qu'elle lui donne l'amour qu'il se donne.

Madeleine n'est pas dupe, et elle n'admet pas la générosité qu'il affiche, lorsqu'il affirme qu'il va la délivrer de leur hôte envahissant :
"- Amédée : D'accord, je t'en débarrasserai aujourd'hui, si tu veux.
- Madeleine : Si c'était vrai ! (Court silence). Tu veux dire que tu nous en débarrasseras. Tu ne feras pas ça seulement pour moi. Tu le feras aussi pour ta tranquillité."
(Id., p. 272).
L'attitude d'Amédée témoigne de l'insuffisance fondamentale de la logique ; il ne suffit pas de savoir pour faire. La connaissance de la solution ne permet pas obligatoirement la solution, même si cette dernière est désirée. Tout se passe à un niveau qui dépasse l'intelligence, à tel point que les conclusions du mari sur la nécessité de l'amour, bien loin de permettre un rapprochement des époux, ne font que les éloigner davantage et épaissir le mur qui les sépare. Pour aimer, il faudrait que l'un des deux fasse, vers l'autre, un pas que rien ne peut justifier rationnellement, puisque la raison persuade chacun qu'il est dans son bon droit, en ne donnant pas plus à l'autre que ce dernier ne lui donne ; il faudrait donc qu'ils abandonnent la bonne idée qu'ils ont d'eux-mêmes, car c'est elle qui les empêche de s'aimer.








EMPRISONNEMENT DANS CES DEUX ATTITUDES
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Les ténèbres et le rêve, instruments de domination
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Tout au long de la pièce, l'attitude des deux personnages correspondra à ces mêmes réactions. Madeleine refusera tout don de soi, en ne voulant voir que la mort et la désolation, là où Amédée lui montrera la vie et le bonheur, et celui-ci échappera par le rêve qu'il n'avait d'ailleurs jamais quitté, à cette triste réalité qu'il ne peut pas admettre parce qu'elle est contraire à son désir.

Madeleine, en effet, conformément aux ténèbres que, seules, elle reconnaissait autour d'elle, dans la vision de sa nuit de noce, s'attache à ne voir que contrainte, peine et finitude dans la vie, car elle croit ainsi accabler Amédée et l'empêcher de s'évader. Il n'y a finalement que très peu de différence entre l'attitude de la femme d'Amédée et celle de la femme de Choubert. Toutes deux cherchent à dominer leur mari, l'une par l'autorité légale, et l'autre, par ses propres ténèbres qu'elle projette sur la réalité, en croyant qu'elles sont inhérentes aux objets et aux êtres. Ainsi, elle se plaint de la dureté du travail occasionné par les champignons que fait pousser le cadavre, mais ne peut pas s'en passer :
"- Madeleine : Moi aussi je suis fatiguée, crevée. Et je travaille, travaille, travaille..."
(Id., p. 242).
Bien plus, elle n'accepte pas l'aide de son époux pour les travaux les plus malsains qu'elle prend à coeur de faire, afin de bien lui prouver que la vie n'est pas belle, qu'elle est faite de saleté, de maladie et de mort :
"- Madeleine, désolée, ton pleurnicheur : Ah ! alors, s'il en pousse dans la salle à manger, maintenant, qu'est-ce qu'on va devenir ! Du travail supplémentaire... pour arracher tout ça... Comme si je n'en avais pas assez !... Ah, la,la,la,la !
- Amédée : Du sang-froid, voyons. C'est moi qui les arracherai... Je t'aiderai.
- Madeleine : On ne peut pas compter sur toi ! Et ce n'est pas sain."
(Id., p. 245).
Il n'est pas étonnant qu'elle continue de substituer la mort à l'amour, comme elle l'avait déjà fait au cours de leur première nuit :
"- Madeleine : Qu'est-ce que cette histoire d'amour ! Des sottises ! Ce n'est pas l'amour qui peut débarrasser les gens des soucis de l'existence ! (Elle montre le cadavre). C'est lui tout cela. C'est son monde, pas le nôtre."
(Id., p. 291).
L'existence du cadavre n'a rien de surnaturel, puisque Madeleine la réduit aux soucis de l'existence avec lesquels il faut vivre. Et elle reproche vivement à Amédée de ne pas pouvoir s'y habituer :
"- Madeleine : Toujours la même histoire ! Comment font les autres ? Voilà quinze ans que tu n'as plus d'inspiration."
(Id., p. 243).
Chacun vit donc avec un mort chez soi, et, lorsque la porte de la chambre cèdera sous la poussée des pieds du défunt, Ionesco insiste bien sur le fait que ça n'a rien d'insolite, mais fait partie des gros ennuis qui peuvent arriver à un ménage :
"Cela doit paraître effrayant, sans doute, mais surtout ennuyeux ; c'est un évènement embarrassant, mais cela ne doit pas sembler insolite ; (...) C'est une "tuile" d'importance certes, mais pas autre chose qu'une tuile."
(Id., p. 264).
Mais Madeleine n'est plus logique avec elle-même à partir du moment où elle refuse toute responsabilité dans la présence du cadavre chez elle. Si c'est un phénomène normal, pourquoi en accuse-t-elle Amédée ?
"- Madeleine : C'est donc ma faute ? C'est ça que tu veux dire... Il était pourtant bien entendu que ce n'était pas ma faute !..."
(Id., p. 277).
Cette volonté de s'innocenter à tout prix, exprime toutes les torsions qu'elle fait subir au réel pour devenir une victime innocente, elle ne noircit tout ce qui n'est pas elle que pour se blanchir. La révolte contre la laideur suppose l'acceptation de soi comme d'un être parfait qui ne mérite pas ce qui lui arrive, et qui ne doit pas être mis en cause. C'est d'ailleurs normal, puisque toute révolte apparaîtra, de plus en plus, comme fondée sur le désir d'être Dieu ; dans la révolte, l'être se croyant Dieu est nécessairement au-dessus de tout reproche.

Malgré tous les efforts de Madeleine pour dominer son mari, en l'accablant de cette mort qu'il ne veut pas voir, Amédée trouve toujours un moyen, aussi absurde soit-il, d'échapper à cette contrainte et de contourner l'obstacle, comme il l'expliquera plus tard au soldat américain. Il en va ainsi pour les champignons poussant dans leur appartement :
"- Amédée : Il y en a peut-être à Paris. Peut-être même chez les voisins... Des champignons de Paris !... Tu ne peux vraiment pas savoir !
- Madeleine : Ne me raconte pas d'histoires ! Je ne suis pas une enfant. C'est à cause de lui (...)
- Amédée, se résigne à la vérité, bras ballants, accablé : Oui. Bien sûr.Tu as raison. Ca ne peut être que lui, la cause."
(Id., p. 246).
Mais s'il admet les objections de Madeleine, c'est surtout pour s'en débarrasser et s'évader dans le rêve.


Refus d'aimer, cause de la croissance du cadavre
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Il est désormais possible de beaucoup mieux comprendre la présence de cette dépouille qui grandit. Le mort serait, selon Madeleine, un amant d'un soir qu'Amédée aurait tué, ce dernier n'en est pas aussi sûr. Mais toujours est-il qu'il se trouve à l'endroit où se sont heurtés leurs deux "moi", il est au sein de leur amour et il n'y est pas venu seul, puisque ce sont eux qui ont choisi de l'installer dans leur lit :
"- Amédée : Nous l'avons installé dans la plus belle pièce : notre chambre à coucher de jeunes mariés..."
(Id., p. 256).
Pourtant, le crime n'est qu'accessoire, puisque chacun nourrit chez soi un pareil monstre, de sorte que, s'il nétait pas venu de cette manière, il serait venu autrement :
"- Amédée : Si on s'en débarrasse, crois-tu que cela soit tellement utile ? Il se peut qu'il vienne un autre invité, la même histoire recommencera...
- Madeleine : En tout cas, il sera plus petit. Il ne prendra pas tout de suite toute la place. On aura le temps de respirer avant qu'il grandisse."
(Id., p. 295).
Ils reconnaissent donc être soumis à une puissance qui les écrase inéluctablement, et, dans "Oriflamme", Ionesco montre à quel point cette force destructrice a sa source en eux, comme Amédée le sent douloureusement, lorsqu'il cherche à l'extirper de leur demeure :
"Ce fut comme si j'avais traîné la chambre à coucher, le long couloir, la salle à manger, l'appartement entier, tout l'immeuble ; puis comme si je m'arrachais, moi-même, les sortant par ma bouche, mes propres entrailles, les poumons, l'estomac, le coeur, un tas de sentiments obscurs, de désirs insolubles, de pensées malodorantes, d'images moisies , croupissantes, une idéologie corrompue, une morale décomposée, des métaphores empoisonnées, des gaz délétères fixés aux organes comme des plantes parasites. Je souffrais atrocement. Je n'en pouvais plus, je suais des larmes, du sang."
(Oriflamme, in la Photo du Colonel, Ionesco, Ed. Gallimard, nouvelle, 1962, p. 23).
C'est donc, en définitive, tout son être physique, moral et spirituel, que ce cadavre.

Madeleine éprouve le même sentiment :
"- Madeleine : Plus vite, tire plus vite, Amédée, j'ai mal au coeur. Tu vas me tuer, Amédée, tire plus vite, ça n'en finit plus, tire plus vite..."
(Amédée ou Comment s'en débarrasser, Ionesco, Ed. Gallimard, Théâtre I, 1954, p. 303).
Mais leur être ne se réduit pas à eux, il englobe tout l'univers qu'ils saisissent, et, pour commencer, leur appartement. C'est la raison pour laquelle l'émotion de Madeleine se traduira par des coups de gong qui ébranleront tout le décor, comme si le logement était sa poitrine et son corps.

Il y a une puissance qui introduit la mort dans la vie de l'être humain et l'écrase progressivement jusqu'à ce qu'il soit obligé de s'en libérer d'une façon ou d'une autre ; mais s'il se défait de l'objet par lequel elle a concrétisé son existence opprimante, cet être ne se débarrasse pas pour autant du pouvoir qui est en lui, comme le montreront Amédée et Madeleine. Dans leur cas particulier, si l'on se rappelle l'échec total qu'a été leur nuit de noce, dû à une révolte et à un désir qui les ont enfermés en eux, il est possible de comprendre que le cadavre était déjà en eux et avait les dimensions du mur qui les séparait, dans cette couche nuptiale, où il aurait dû y avoir amour, communion spirituelle et charnelle du couple.
Là où il n'y a pas amour, il y a agressivité ; mais, dans les deux cas, il s'agit d'une force agissante et non du néant. La croissance du mort signifie de leur part le refus irrationnel de revenir sur cet échec, de l'oublier et de s'oublier, pour aider l'autre à sortir de son erreur. La puissance qui a fait "naître" le cadavre, si l'on peut dire, et celle qui les a empêchés de s'aimer, ne font qu'un ; c'est bien cette force qui pousse l'individu à affirmer son "moi", pour le couper du reste du monde. Amédée savait que, s'ils s'aimaient, tout s'arrangerait. Mais, pendant quinze ans, son orgueil l'a empêché de faire l'abstraction de lui nécessaire pour réparer la brèche livrant passage aux pulsions nocturnes qui les éloignaient l'un de l'autre. "Journal en Miettes" révèle une coïncidence intéressante entre les quinze ans de passivité d'Amédée et une période semblable dans la vie de Ionesco :
"J'en aurais pu faire des choses (...), si la fatigue, une inconcevable, une énorme fatigue ne m'avait accablé depuis environ quinze ans, ou même depuis bien plus longtemps. (...) Je sais de mieux en mieux, moi, quelle est la raison de cet épuisement : c'est le doute, c'est l'éternelle question "à quoi bon" enracinée dans mon esprit depuis toujours, que je ne puis déloger. Ah, si l'"à quoi bon" n'avait germé dans mon âme, puis n'avait poussé, puis n'avait tout recouvert, n'avait étouffé les autres plantes, j'aurais été un autre, comme dit l'autre."
(Journal en Miettes, Ionesco, Ed. Au Mercure de France, 1967, p. 38).
L'"à quoi bon" a grandi dans l'âme de Ionesco, comme le cadavre chez les Buccinioni. Comme Amédée, il a contraint l'auteur à rester un être passif, qui connaît la source du mal sans avoir encore rien pu faire contre lui.

La croissance du corps n'a pas toujours été continue. Il a d'abord grandi insensiblement de temps en temps. Puis, brusquement, il s'est fait remarquer par des poussées de plus en plus fortes, qui ont brisé la fenêtre et, finalement, la porte de la chambre : Deux pieds énormes sont apparus, le mort envahit peu à peu tout l'appartement et le démolit ; plus ils se préoccupent de lui, mesurant son avance à la craie, plus il devient menaçant. Malgré tout, ils n'agissent pas et passent leur temps à se reprocher mutuellement la situation, car Amédée n'admet pas d'être le seul coupable :
"- Madeleine : Je te répète que c'est ta faute. Je te le répèterai jusqu'à ce que cela entre dans ta tête.
- Amédée, faiblement : Non, ce n'est pas uniquement ma faute."
(Amédée ou Comment s'en débarrasser,
Ionesco, Ed. Gallimard, Théâtre I, 1954, p. 295).
Tout change, à partir du moment où Madeleine, effrayée par la progression du corps, appelle Amédée "mon chéri", peut-être pour la première fois dans leur vie conjugale :
"- Madeleine, se tordant les mains : Qu'est-ce que tu attends ? Qu'est-ce que tu espères ? Décide-toi ! Décide toi !
- Amédée : Il faut, je vois. Il faut, je vois. Ca ne va pas être facile.
- Madeleine : Mon chéri, fais quelque chose...
- Amédée : Comment as-tu dit ?
- Madeleine, de nouveau irritée : J'ai dit simplement "fais quelque chose", parce qu'il faut absolument faire quelque chose."
(Id., p. 279).
Ces deux mots qui lui ont échappé suffisent à décider son mari à l'action, bien qu'elle les ait regrettés aussitôt. Le mort, cette nuit intérieure qui les sépare, s'est développé pendant leur vie commune, en partie à cause de l'obstination d'Amédée qui a attendu un témoignage quelconque d'amour de sa femme. Il a fallu que son désir soit satisfait pour qu'il change d'attitude. Il lui a fallu avoir le sentiment d'une victoire, en ayant fait cèder Madeleine. C'est assez dire qu'il ne sort pas des pulsions agressives qui l'animent et l'aveuglent, en le fermant aux autres ! Et c'est pourquoi sa femme s'irrite à nouveau lorsqu'il lui demande de répéter ce qu'elle a dit, souhaitant jouir plus longtemps des termes affectueux qu'il croit avoir gagné de haute lutte en quinze ans de mariage. Telle est, peut-être, le mobile profond de l'"à quoi bon" de Ionesco : l'attente toujours insatisfaite du don des autres, avant de faire quoique ce soit pour eux. Dans "la soif et la Faim", l'auteur découvrira que seul le désir est la cause de son insatisfaction, malgré tout ce que les êtres qui l'aiment ont pu lui donner.

La décision d'Amédée une fois prise, le cadavre ne cesse pas pour autant de s'allonger. Mais sa progression est lente et continue et correspond à l'écoulement du temps :
"Dorénavant. le mort continuera d'avancer vers la porte de droite, sans secousses, lentement mais sans arrêt."
(Id., p. 280).
"On doit toujours apercevoir de la salle les aiguilles bouger doucement, à la même cadence que les pieds du mort."
(Id., p. 281).
Il semble désormais que les secousses de plus en plus brutales qui augmentaient les dimensions du mort, correspondaient à des prises de conscience de l'échec de plus en plus fortes et rapprochées, du fait de l'évolution insoutenable de la situation, sans que personne n'accepte de faire le geste qui sauverait tout. Plus ils s'occupent du cadavre, c'est-à-dire d'eux (puisqu'il est eux), plus ils s'enferment dans leur souci, plus ils s'éloignent l'un de l'autre, et plus le corps les envahit et les écrase. Leur obstination à ne pas aimer rend leur vie intenable et les menace d'anéantissement. Madeleine l'a compris sous l'emprise de la frayeur, devenue plus forte que son entêtement dans le refus de l'amour. Et c'est alors qu'elle a appelé Amédée "mon chéri". L'agressivité même, à cause de laquelle elle a passé sa vie à se refuser à son mari, et à ne rien lui donner, pour préserver son moi dans toute son intégrité, la contraint à faire preuve de générosité, si elle ne veut pas être complètement anéantie et désintégrée par cette matérialisation de leurs pulsions dominatrices, qui menace de tout pulvériser. Mais cette tendresse ne suffit pas à faire disparaître le corps ou, tout au moins, à arrêter sa progression. L'orgueil reprend aussitôt ses droits sur la femme, qui refuse de renouveler sa douceur, et sur l'homme qui y voit la preuve de sa supériorité, puisqu'il a contraint son épouse à faire le premier pas. Seulement le cadavre se développe maintenant au rythme de leur vie, il est devenu leur vie et ne leur fait aucune concession, heurtant la porte et menaçant de tout démolir à minuit, heure précise à laquelle ils ont décidé d'agir. Ils ne sont plus maîtres de leur existence, déterminée par l'accroissement du corps, c'est-à-dire par leurs pulsions orgueilleuses, sur lesquelles ils n'ont jamais voulu revenir.


L'amour ou la mort

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Ionesco atteint sans doute, avec "Amédée ou Comment s'en débarrasser", le fondement du tragique. Il découvre cette alternative saisissante de la condition humaine : l'amour ou la mort, alternative à laquelle l'individu ne peut échapper, quiconque refuse d'aimer courant à sa perte, en se détruisant lui-même. Toute son oeuvre future, jusqu'à "Jeux de Massacre" tout au moins, se heurtera à l'impossibilité d'une autre solution, avec le sentiment de plus en plus puissant de la vérité et de la richesse de l'amour. Ce sera comme un appel de son être auquel il ne parviendra pas à répondre jusqu'à "la Soif et la Faim", "Jeux de Massacre" pose la question de savoir s'il y franchit vraiment le pas.









ATTACHEMENT AU MORT
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Pouvoir de séduction du cadavre
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Si les Buccinioni ont été quinze ans sans pouvoir se débarrasser du mort, c'est qu'ils en avaient besoin et ne se l'avouaient pas. En effet, ils ne peuvent pas se passer de lui, d'aller le voir, de le chérir. Amédée reproche à sa femme de la trouver souvent en train de le tenir par les épaules et de le contempler :
"- Amédée : Ah, cette Madeleine, cette Madeleine, quand elle va dans la chambre, elle n'en sort plus ! (Plaintif). Elle l'a assez vu, celui-là ! Ah, la, la, la !"
(Id., p. 240).
Mais lui aussi profite de tous les moments d'inattention de son épouse pour aller dans la chambre :
"Amédée, profitant du fait que sa femme est occupée à son standard, se lève doucement, va vers la porte de gauche, regarde dans la chambre, arrêté sur le seuil de la porte, tourne la tête pour s'assurer que sa femme ne le voit pas faire, puis entre doucement dans la chambre, laissant la porte entrouverte."
(Id., p. 248).
Tous deux sont victimes de la même attirance invincible, et empêchent l'autre de rester avec la dépouille, car chacun y tient comme à ses propres entrailles, puisque ce mort, c'est eux ; il est la manifestation tangible de la puissance qui les pousse à se replier sur eux, et donc à rester vers lui ; puissance qui, en même temps, les sépare de toute la force qu'elle les emprisonne en eux, et les attire vers le cadavre.

L'attitude de Madeleine est très significative à cet égard, lorsque le facteur frappe à la porte :
"Amédée pousse précipitamment la porte de gauche ; Madeleine est déjà près de cette porte, le dos à celle-ci comme acculée ; elle est atterrée."
(Id., p. 257-258).
Lorsque le facteur va entrer, son trouble augmente :
"Madeleine est haletante, les bras écartés, comme pour défendre l'entrée de la porte de gauche."
(Id., p. 258).
Elle est la proie de la même agressivité tumultueuse que lorsqu'elle refusait de se donner à son mari ; et il suffira que le facteur prononce leur nom, pour qu'elle recule vivement contre cette porte, dont elle s'était un peu écartée ; elle considère donc toute personne entrant chez elle comme un violeur meurtrier, portant atteinte à l'intégrité de son moi, un moi qui a pris les dimensions de l'appartement et même de l'immeuble, et dont la partie la plus intime est la chambre du défunt, où elle dissimule ses propres ténèbres.


L'"Etre" et le "devenir" : L'amour et l'amour-propre
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Le mort n'est pas inactif, en dehors de sa progression géométrique. Il exerce sur les époux une séduction puissante, justifiant profondément la durée pendant laquelle ils l'ont conservé. Il apporte, en effet, à Amédée les satisfactions de l'imagination que celui-ci attendait de l'amour, et ce dernier ne pourra jamais se résigner à lui fermer les yeux qui le fascinent :
"- Amédée : Les yeux n'ont pas vieilli. Ils sont toujours aussi beaux. De grands yeux verts. On dirait des phares. Je vais les lui fermer, oui, ça vaudra mieux.
- Madeleine : Tu les trouves beaux , toi. C'est de la littérature. Tu fais de la littérature, dans la vie. Drôle de beauté."
(Id., p. 250-251).
En fait, ce qu'elle lui reproche surtout, c'est de profiter de cette beauté, aucun des deux ne pouvant admettre l'indivision de ce cadavre qu'il cherche à s'approprier, parce que chacun sent confusément qu'il fait partie de lui. Madeleine, en effet, ne fait rien pour fermer ces yeux et elle arrêtera Amédée, lorsqu'il voudra lui obéir :
"- Madeleine, (...) : Tu n'as toujours pas fermé ses paupières.
- Amédée : J'y vais...
Il se lève, va vers la porte de gauche ; avant qu'il y arrive, Madeleine dit :
- Madeleine, (...) : Tu pourrais aller aux commissions, on n'aura rien pour le déjeuner."
(Id., p. 250-251).
Le pouvoir de séduction du cadavre se développe quand ils ont décidé de se séparer de lui. Une musique envoûtante se dégage de son corps avec une lumière verte, froide mais agréable :
"- Amédée, toujours bas : Ce sont ses yeux qui éclairent... On dirait deux phares... Tant mieux, ce n'est plus la peine d'allumer la lampe... Sa lumière est plus douce."
(Id., p. 293).
Et, pour la première fois, Madeleine reconnaît l'existence du beau, au lieu d'affirmer le néant, disant qu'"il a tout de même du talent"... (p. 293). Elle qui hurlait quand son mari chantait, lui reprochant de déchirer ses ténèbres et d'être un sadique, se laisse envoûter comme lui par le monde de la nuit. Lorsqu'Amédée ouvrira les volets, la lumière froide de la lune envahira la pièce et se mêlera à celle du corps. Elle émane de partout, des meubles, des fentes, argente les champignons devenus énormes. "L'horrible et le beau doivent coexister, précise Ionesco" ; en un mot, l'horrible devient attirant. Mais le héros ne remarque pas que cet espace féérique infini est un domaine glacial où la chaleur de la vie est inconnue, et où règne la solitude absolue :
"- Amédée : Personne. Rien ne bouge? Pas un bruit. La solitude."
(Id., p. 299).
L'attrait de cette féérie froide et éblouissante, relève du même pouvoir de séduction qui rayonnait autour du mort. Arracher le cadavre de sa demeure n'est pas une solution pour Amédée, puisque sa vie est toujours dominée par les pulsions qui l'isolaient dans le rêve ; désormais, leur univers ténébreux occupe toute l'immensité de la nuit qui les enveloppe de sa température mortelle. Madeleine ne s'y trompe pas, malgré l'optimisme de son époux.
"- Madeleine : Ne perds pas ton temps. A quoi penses-tu ? Le froid pénètre. Nous allons nous enrhumer. Dépêchons-nous.
- Amédée : C'est l'été, Madeleine, voyons."
(Id., p. 298-299).
Par ailleurs, la facilité avec laquelle le corps se dévidera, une fois les pieds passés par la fenêtre, indique bien que le héros est comme happé par l'attrait des contrées chimériques, tandis que sa femme est la proie de l'angoisse.

Il semble donc que l'humain ne puisse pas se passer du beau et du bien. Dès "la Leçon", le professeur avait dit à l'élève qu'il voulait son bien, juste avant de l'assassiner, et l'agressivité qui pousse Madeleine à ne voir que du néant, ne parvient à l'aveugler qu'en lui donnant une illusion de beauté qui lui permettra de vivre. A côté de la forme trouble qui cherche à maîtriser l'individu et qui est donc une puissance en "devenir", en apparaît une autre qui, elle, est un "être" : elle n'agit pas sur lui, ne cherche pas à le maîtriser, et il ne peut pas ne pas en tenir compte. Il faut que les pulsions meurtrières lui donnent l'impression de cet "être" pour qu'il succombe à leur "devenir", puisqu'il choisit toujours au nom du bien, même quand il est criminel. Le tragique est très profond dans la scène de la séduction, car la beauté froide de la mort, cet "être" factice, cache en réalité un "devenir" impitoyable que Ionesco a souligné :
"Ainsi, dans cette scène, c'est la musique, les pieds du mort s'allongeant, la lumière verte qui jouent."
(Id., p. 292).
Le cadavre séduit et écrase, tout à la fois, si bien que l'affolement succède à l'envoûtement. Le mutisme des époux témoigne de leur isolement dans la jouissance qu'ils tirent de ce spectacle, et montre l'achèvement de l'oeuvre de leur hôte : il a réussi à les séparer complètement l'un de l'autre, de même que les hôtes des Vieux des "Chaises" les avaient rejetés chacun aux deux extrémités de la scène. Dans les deux cas, les invités ainsi que le cadavre représentent les pulsions troubles qui brisent le couple. Mais Amédée et sa femme, comme Sémiramis et son époux, ne reconnaissent pas qu'ils ne sont plus maîtres de la situation. Jusqu'à la fin, ils s'attendrissent sur le sort du "malheureux" qu'ils vont jeter à l'eau, sans s'apercevoir que c'est lui qui ne se contente plus des bornes de l'appartement qu'ils lui imposaient, et qu'il échappe à toute mesure, pour les entraîner dans l'infini du chaos des puissances auxquelles ils ont cédé :
"- Amédée : La maison nous paraîtra bien vide quand il ne sera plus là... il a été le témoin muet de tout un passé ; pas toujours agréable ce passé évidemment... On pourrait même dire : à cause de lui pas agréable... mais enfin, la vie n'est jamais gaie... Si on n'a pas cet ennui-là, il y en a d'autres."
(Id., p. 296).
Il regrette de ne pas s'être mieux accommodé de sa présence, de ne pas avoir su lui faire plus de place, alors que c'est précisément parce qu'ils ont été trop bons avec lui, c'est-à-dire trop bons avec eux-mêmes, que les choses en sont venues là. L'attachement à leur hôte est en fait un attachement à soi, puisque le cadavre est partie d'eux ; c'est leur amour-propre qui leur a trop fait écouter les pulsions parlant en leur faveur, au mépris du reste de l'univers, et qui a étouffé leur amour au sein-même de leur lit de jeunes mariés. Leur erreur n'a donc jamais été aussi forte qu'au moment de se débarrasser de ce qui semblait en être la cause, puisqu'ils ne se préoccupent plus que du mort, et donc d'eux à travers lui, sans comprendre que la source de tous leurs maux est justement dans cette pensée égocentrique.

A partir du moment où ils agissent, ils ne sont plus eux-mêmes. Amédée est devenu un automate, il est au-delà de la crainte et de l'effroi, "non pas calme, mais comme absent". Lui qui a passé quinze ans de sa vie à attendre que le problème se résolve tout seul, reste aussi passif dans l'action : Ce n'est pas lui qui la dirige, mais les forces obscures de son être qui l'ont toujours empêché d'adhérer à la réalité, en l'emmenant dans le rêve. Madeleine, quant à elle, est roulée dans les flots de l'irrationnel, son intelligence est complètement anéantie, elle ne sait plus où elle en est :
"- Madeleine : J'ai peur... On n'aurait pas dû se décider si vite... Il n'y avait pas moyen de faire autrement... On aurait dû attendre... Non, on n'aurait pas pu attendre... C'est ta faute. Non, ce n'est pas ta faute, car j'ai pourtant eu raison, il fallait bien..."
(Id., p. 303).
Elle a toujours cru maîtriser la situation en imposant ses volontés à Amédée, et maintenant que ses ordres sont exécutés, elle nage dans une totale confusion, car elle sent qu'avec le départ de cet être envahissant, elle perd toute possibilité de dominer son mari et toute raison d'être, par conséquent, puisqu'elle ne vivait que de l'agressivité qu'elle nourrissait contre Amédée. Mais son orgueil est plus fort que son angoisse et la fait affirmer, en définitive, qu'elle a eu raison.

Les Buccinioni sont donc totalement dupes des pulsions auxquelles ils ont cédé. Plus ils cherchent une solution, plus ils s'enferrent dans leur échec, car ils ne cessent pas de se préoccuper d'eux. La séduction que le cadavre exerce sur eux correspond à leur propre attachement à eux-mêmes et indique bien qu'ils ne comprennent pas que ce soit là la source de leurs maux, étant dépossédés d'eux-mêmes par le désir de se faire plaisir et de trouver le bonheur avant toute chose.









TENEBRES SOCIALES
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Identité entre la puissance qui domine le couple
et celle qui meut la société

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Lorsqu'Amédée descend dans la rue, il ne rencontre absolument personne. Les maisons sont hautes, avec beaucoup de fenêtres, mais les lumières sont éteintes et les volets fermés. Le bruit paraît plus lointain qu'il ne l'est réellement, comme étouffé, dans la maison de tolérance de la place Torco. Tout respire la vie fermée sur elle-même et le refoulement des pulsions agressives, ce qui établit une correspondance étroite entre la société et l'individu, puisque Madeleine comme Amédée se sont conduits pendant quinze ans, face au cadavre, exactement de la même façon que la société face à ses désirs secrets, de sorte qu'Amédée, seul au milieu de la ville, apparaît non seulement coupé de toute la population, mais s'y opposant à part égale par sa présence nocturne. L'identité entre lui, ou le couple qu'il forme avec Madeleine, et, finalement, l'humanité dans sa totalité va beaucoup plus loin. En effet, les murs de la maison de tolérance sont clairs, "son apparence est tout à fait honnête, quelconque", la vie y semble délavée, ayant perdu toute notion du bien et du mal, et comme avilie dans une grisaille uniforme. Mais, lorsque la porte s'ouvre pour expulser un américain ivre, le bruit se fait assourdissant :
"Soudain, s'ouvre la porte du bar avec fracas : la musique et les bruits venant du bar sont incroyablement forts, tant que la porte reste ouverte ; pouvant provenir même de plusieurs coins de la salle : des mains poussent vigoureusement par les épaules, hors du bar, un grand soldat américain."
(Id., p. 306).
C'est donc tout un monde de violence et de ténèbres qui se cache derrière l'apparence tout à fait quelconque de ce bar, comme derrière la porte de la chambre que Madeleine cachait quand le facteur était chez eux. Le soldat ne parviendra pas à rentrer une seconde fois ; malgré ses efforts, il sera repoussé par "une force supérieure". Il est bien le produit de l'agressivité, rejeté une fois qu'il y a trop participé et qu'il devient menaçant pour la tranquillité de chacun. La société repousse le membre malade, alors qu'elle est responsable de son mal, parce qu'elle risque d'être écrasée par la totale satisfaction des désirs qu'elle flatte, de même que les Buccinioni sont obligés de se débarrasser du cadavre qui était en train de les étouffer.


Toujours la séduction du rêve
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Amédée arrive au milieu de la place, en traînant son fardeau dans un bruit de casseroles attachées à la queue d'un chien, sonnant le creux sur le pavé. Ce n'est plus qu'une corvée qui lui pèse, la réalité ressentie comme vide de signification, en comparaison de l'attrait des solitudes féériques qui l'accapare peu à peu, et rend son travail de plus en plus pénible et harrassant, alors qu'au début il était extrêmement facile :
"- Amédée : Quel beau ciel... Si je n'avais pas cette corvée..."
(Id., p. 309).
et ensuite :
"- Amédée : Quel beau ciel ! (Puis) : Pas le moment... Essayons... On regardera le ciel quand ça sera fait... (Il tire, ne peut pas avancer). Et je ne peux pas le rapporter à la maison... Je n'en peux plus. Je suis trop usé... trop usé..."
(Id., p. 309).
De même que les mots se vident de signification, quand ils ne sont plus que des instruments de domination au service du désir humain, de même le réel n'a plus de sens face à la séduction du rêve. le cadavre devient impossible à remuer. Amédée se heurte à lui, ne peut plus rien en faire et l'abandonne. Il y a donc une corrélation entre le bruit de casseroles sonnant le creux qu'émet le mort, et la beauté froide, c'est-à-dire vide, elle aussi, qui se manifeste dans le ciel par une profusion d'étoiles filantes à l'arrivée du héros. Cela est d'ailleurs de même nature que la lumière éblouissante des "Chaises", qui disparaîtra avec les Vieux ; les pulsions troubles de l'être humain en sont la cause. Dès lors, Amédée n'aura pas de cesse qu'il ne soit délivré de sa besogne.


Enveloppement dans les forces obscures
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Il ne peut trouver de solution qu'avec l'aide de cette force obscure qui le domine, et qui règne sur le monde. C'est ce qu'il fait, lorsque, aveuglé par les lumières célestes, il se laisse arrêter par le soldat américain, produit brut de l'agressivité sociale. Se rappelant les interdictions de sa femme, il sent confusément qu'il a tort d'accepter le secours qui lui est proposé, que cette affaire ne regarde que lui. L'américain tire, une grande partie du corps vient d'un seul coup, et s'entasse dans un fracas qui met les trains en marche et fait aboyer les chiens. Amédée est effrayé. En demandant le secours d'un soldat, c'est tout le mécanisme social qu'il a mis en branle, et les aboiements des chiens ainsi que les bruits des trains ne feront que s'intensifier. Il est pris dans l'engrenage qui fera ouvrir les fenêtres, arriver les policiers, et qui, pour l'instant, fait rire l'ivrogne (le rire semblant être la manifestation irrationnelle par laquelle l'humain exprime son sentiment de supériorité, sans s'apercevoir que, n'étant pas maître de son rire, il est dominé à partir du moment où il croit dominer) :
"Cela a l'air de l'amuser, indique Ionesco au sujet de l'américain ; Amédée aussi aboie pour lui faire comprendre que ce sont des chiens ; l'Américain ne remarquant pas l'affolement d'Amédée met soudain son doigt à son front, comme quelqu'un qui a une idée lumineuse, puis, prenant Amédée par les épaules, il le fait pivoter sur place."
(Id., p. 311).

Là encore, Amédée commence par résister à cette force extérieure qui le meut, mais, y trouvant son intérêt, il s'enroule de lui-même :
"- Amédée, pivotant sur place, malgré lui : Mais... Monsieur... mais voyons... voyons... (Puis, s'apercevant que le corps s'enroule autour de sa taille, il comprend et se met à pivoter de lui-même pour que le corps continue à s'enrouler). Oui, merci, c'est une excellente idée... C'est bien..."
(Id., p. 311).
Amédée ne se laisse diriger par les contraintes sociales que lorsqu'il a compris qu'elles l'avantagent, la société ne maîtrisant l'individu que parce qu'il cède aux pulsions par lesquelles il espère tout avoir, et être tout, c'est-à-dire Dieu, en fin de compte, sans rien faire. Elle l'enferme dans son désir, que sont les ténèbres qui l'aveuglent et l'emprisonne en lui.

C'est ainsi qu'Amédée s'enroule dans son cadavre.

Mais il est encore maître du mouvement, quand il s'arrête pour dire sa reconnaissance à l'être social. Les conseils qu'il lui donne éclairent toute sa conduite passée pendant les quinze ans de son mariage. Il exhorte en effet l'Américain à se méfier du son "u" parce qu'il est coupant :
"- Amédée : Le "u" est dangereux, c'est un son pointu (...). "U", les couteaux, ce sont les angles, ce sont les pointes, méfiez-vous, méfiez-vous... "u", c'est le sifflement... Si vous êtes tout de même obligé de prononcer les "u", dessinez comme ceci, un cercle autour de la bouche, pour l'enfermer. Il faut se méfier des brisures, de tout ce qui enfonce, pénètre, disloque..."
(Id., p. 311).
Cette méfiance irrationnelle répond, bien entendu, à l'échec malheureux de sa nuit de noce où se retrouvent les pointes, les brisures, tout ce qui pénètre, disloque, dans les reproches que lui faisait Madeleine II :
"- Madeleine II : Tu piques (p. 286) ; tu me perces les oreilles (...) Tu déchires mes ténèbres ! (p. 287) ; les baïonnettes, les mitrailleuses (p. 287) ; je sombre dans la nuit ! Epaisses ténèbres à couper au couteau (p. 288) ; des épines de feu ! des flammes pointues (...) On m'enfonce des épingles de feu dans la chair (p. 288)."
(Id.)
C'est donc bien la première nuit du couple qui est au centre du tragique, ou plutôt la réaction d'Amédée qu'elle a suscitée, et qui a contribué pour sa part à la prospérité du cadavre et de son cortège de champignons. Cette hantise de la brisure s'est, en effet, répercutée moralement, et a poussé Amédée à contourner sa femme, au lieu de la heurter de front, à l'éviter et à s'en séparer pour ne plus avoir les mêmes invonvénients, et préserver sa tranquillité dans les solitudes du rêve :
"- Amédée : Et surtout tournez les questions, parlez beaucoup en périphrases... périphrases... périphrases... Périphrasez, périphrasons... Ne pas rester immobile, on devient clou, on devient pointe..."
(Id., p. 312).
L'attitude d'Amédée et celle de Choubert, vis-à-vis de leur femme, sont identiques. Peut-être y a-t-il dans l'explication présente un approfondissement qui complète celle de "Victimes du Devoir", où le refus de l'autorité de Choubert provient de sa haine de l'autorité paternelle.


Le rêve, masque des ténèbres
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Fort de son expérience, Amédée va recommencer à s'enrouler dans le cadavre pour éviter les pointes et les sifflements ; mais voilà précisément que le mort l'entraîne dans un sifflement puissant, avec une recrudescence d'étoiles filantes, d'aboiements, de bruits de trains, tandis que les gens se mettent aux fenêtres et que le patron du bar sort avec une fille, et un autre soldat américain
(cf. p. 312).

En ayant cru trouver la solution de sa condition dans la fuite de toute pointe et de toute autorité, grâce à l'enroulement et à la périphrase, Amédée a été le jouet de la puissance ténébreuse qui meut l'humanité et qui se manifeste ici par la curiosité, la prostitution, le matérialisme et le désir de sécurité, au moyen nécessairement agressif des chiens de garde. Cet orchestre tumultueux rappelle la foule invisible riant à la fin des "Chaises". Avec l'intervention de la police se ferme le cercle social dans toute sa réalité contraignante et écrasante. En ayant rejeté les exigences de la société, le héros devient un instrument de cette puissance, à part entière, s'opposant à la totalité des citoyens, de même qu'un meurtrier peut, suivant la position sociale de sa victime, dresser l'humanité contre lui.

Face à cette réalité sociale, Amédée ne risque rien : le mort qui l'a enveloppé devient lumineux et l'enlève dans l'éblouissement froid et vide des feux d'artifice et de la lune. Conformément à sa vie entière, il échappe au réel par le rêve, sans s'apercevoir qu'il "s'élève" dans la mort qu'il croit fuir. Il a pourtant le sentiment d'agir mal, mais s'y abandonne avec délice :
"- Amédée, s'envolant : Je m'excuse, Messieurs, Mesdames, ce n'est pas ma faute, c'est malgré moi, c'est le vent... Je vous assure, ce n'est pas moi (...)
- Une Femme, à la fenêtre : Il s'envole ! Il s'envole ! Il dit qu'il veut pas mais pourtant il a l'air bien content. "
(Id., p. 315).
Se dépouillant de tout ce qui faisait son être social dans son ascension, Amédée révèle, par le plaisir qu'il éprouve, combien la jouissance du rêveur se nourrit du sentiment de domination de l'humanité par l'imagination. Qui, comme Amédée ou Choubert, se place sous l'autorité des autres, de sa femme en l'occurence, ne le fait que par un besoin plus secret de domination, caché derrière les justifications qu'il se donne de sa propre conduite : En évitant tout ce qui pénètre et coupe, Amédée a cru maîtriser non seulement sa femme, mais la vie elle-même. En fait, il n'a pas cessé d'être victime de son désir. Madeleine, qui arrive en se tordant les mains ne s'y trompe pas plus que Mado, la prostituée :
"- Madeleine, regardant vers le ciel éclairé à profusion : Voyons, Amédée, voyons, tu ne seras donc jamais sérieux ! Tu t'élèves mais tu ne montes pas dans mon estime !"
(Id., p. 319).
Et plus loin :
"- Mado : Les hommes sont tous pareils. Quand ils n'ont plus besoin de vous, ils vous quittent !... Le vôtre n'est qu'un grand enfant !"
(Id., p. 319).
L'homme qui préfère le rêve à la vie n'est pas sorti du domaine égocentrique de l'enfance, il lui manque la dimension de l'adulte : l'oubli de soi. Ionesco en a pris conscience et explique ainsi l'échec de sa vie :
"Les douleurs, chagrins, échecs m'ont semblé toujours plus vrais que les réussites ou le plaisir. J'ai toujours essayé de vivre, mais je suis passé à côté de la vie. Je crois que c'est ce que ressentent la plupart des hommes. Je n'ai pas su m'oublier."
(Journal en Miettes, Ionesco, Ed. Au Mercure de France, 1967, p. 28).

Madeleine est brisée. Dans la seconde version, elle sanglote ; ici, elle est sans volonté :
"- Madeleine : Oh... moi.- je ne sais si pour moi c'est convenable... Je n'ai pas soif !"
(Amédée ou Comment s'en débarrasser,
Ionesco, Ed. Gallimard, Théâtre I, 1954, p. 319).
Puis, elle obéira :
"- Le deuxième Sergent de ville, poussant doucement Madeleine : Oh... On dit toujours ça... On ne sait jamais... On oublie... Venez donc, Madame... Puisque le patron nous paye à boire..."
(Id., p. 319).
Sa révolte contre Amédée était sa raison de vivre, ainsi que le cadavre né de leur union-désunion. Elle les perd tous deux et est anéantie. L'être qui a besoin d'une raison pour vivre, croit dominer la vie par elle, et lorsque celle-ci disparaît, il n'a plus rien sur quoi s'appuyer, est englouti par le chaos agressif qui se dissimulait derrière elle, et devient une loque exposée à toutes les influences.

Un tragique à peine esquissé se dégage des dernières répliques :
"- Un Homme, à la fenêtre, à sa femme, à l'intérieur : Et nous, nous pouvons aller nous coucher, maintenant... Demain, on doit se réveiller de bonne heure ! Viens, Julie...
- Une Femme, à la fenêtre : Fermons les volets, Eugène, le spectacle est terminé ! "
(Id., p. 320).
Pour les citadins, tout est devenu spectacle, sans qu'ils s'aperçoivent que la tragédie qui vient de se jouer est aussi la leur. Et, semble-t-il, c'est le spectateur que l'auteur vise ici, dont il a dit, au cours d'interviews, qu'il aimait ses pièces parce qu'il y reconnaissait ses voisins.

Mais le tragique le plus profond de la pièce reste à l'état latent, il est dans l'évasion bienheureuse d'Amédée qui a permis à son créateur de faire de l'oeuvre une comédie. Il suffit de se reporter à l'expérience de Ionesco et à celle de la plupart de ses personnages pour comprendre à quel point cette fin est un artifice de plus, cachant la chute écrasante qui ne manque pas de suivre. Ionesco réalise son propre désir avec Amédée, la source du mal est au coeur même de l'auteur. Pourtant, il n'est pas dupe, l'insistance avec laquelle il souligne la froideur de la lumière baignant cet univers irréel, et les moyens de l'ascension d'Amédée, trahissent sa suspicion à l'égard de telles solutions.









CONCLUSION
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"Amédée ou Comment s'en débarrasser" dénonce, d'ores et déjà, l'impossibilité pour l'être humain de trouver une solution à sa condition en dehors de l'amour qui est oubli de soi, et annonce l'illusion tragique de Bérenger dans "Tueur sans Gages", qui croira la société capable de lui apporter cette solution, en réalisant ses désirs, et qui se révoltera contre la présence de la mort au sein du rêve. C'est donc, en définitive, la pensée à soi, l'amour propre, qui sont source du tragique, puisqu'ils écrasent Amédée et Madeleine, dans le même temps qu'ils jouissent de leur séduction.

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