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Curieusement, Jean a honte de son ami, de l'être qu'il a choisi,
si bien qu'il semble avoir choisi sa honte, puisqu'il continue de le
fréquenter :
Deux faits sont troubles
et peuvent expliquer cette attirance par leur complémentarité.
D'une part, Jean cherche constamment à se montrer supérieur
à Bérenger. D'autre part, il ne parvient pas à
le comprendre, et cette résistance l'empêche d'asseoir
définitivement sa domination sur lui.
En effet, Jean cherche surtout à convaincre le héros de
ses qualités. C'est ainsi qu'il lui dira que "l'homme supérieur
est celui qui remplit son devoir..." son devoir d'employé,
comme lui et non pas comme son ami (Rhinocéros,
p. 13). Mais, par cette affirmation qu'il fait de lui, il ne s'aperçoit
pas qu'il a déjà quelque chose de l'animal, car il éprouve
toujours le besoin de matérialiser sa domination intellectuelle
par une contrainte physique, en interdisant par exemple à Bérenger
de boire le verre qu'il porte à ses lèvres, et en le lui
faisant poser sur la table :
"- Jean
: Laissez ce verre sur la table. Ne le buvez pas. (Jean
boit une grande gorgée de son pastis et pose le verre
à moitié vide sur la table. Berenger continue
de tenir son verre dans la main, sans le poser, sans oser
le boire non plus.)"
(Id., p. 22).
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Il n'est plus étonnant
qu'il admire déjà le rhinocéros passant dans la
rue :
"- Jean
: Il fonce droit devant lui, frôle les étalages
!"
(Id., p. 14).
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Peu avant sa métamorphose,
se retrouvera l'affinité profonde qu'il se sent avec ce pachyderme
:
"- Jean
: J'ai un but, moi. Je fonce sur lui."
(Id., p. 73).
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Cette attitude de brute était
déjà dans le programme de vie que Jean s'était
fixé, et qu'il suivait sans le moindre égard pour quiconque,
même pour celui à qui il dit donner le bon exemple en l'incitant
à s'instruire :
"- Bérenger
: Je vous le promets, je me le promets. M'accompagnez-vous
au musée cet après-midi ?
- Jean : Cet après-midi, je fais la sieste, c'est dans
mon programme."
(Id., p. 30).
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Dès maintenant, il
affirme l'agressivité comme seule vérité humaine
:
"- Jean
: La vie est une lutte, c'est lâche de ne pas combattre."
(Id., p. 26).
|
Sa "rhinocérite",
par conséquent, n'est rien d'autre que l'aboutissement normal
de sa façon de voir, qui le conduira à dire, lorsque le
mal l'aura notablement gagné :
"- Jean, sans écouter Bérenger :
A vrai dire, je ne déteste pas les hommes, ils me sont
indifférents, ou bien ils me dégoûtent,
mais qu'ils ne se mettent
pas en travers de ma route, je les écraserais."
(Id., p. 72).
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Comme toujours, chez Ionesco
tout au moins, l'agressivité dont Jean fait preuve contre son
ami témoigne d'une faiblesse de sa part, car, malgré son
assurance face à Bérenger, son intelligence se heurte
à un mur qui le déroute :
"- Bérenger : Ca se voit que vous n'en revenez pas. C'était
un rhinocéros, eh bien, oui, c'était un rhinocéros
!... Il est loin... il est loin...
- Jean : Mais voyons, voyons... c'est inouï ! Un rhinocéros
en liberté dans la ville, cela ne vous surprend pas
? On ne devrait pas le permettre ! (Bérenger baîlle).
Mettez donc la main devant votre bouche !..."
(Id., p. 19).
|
La conduite de Jean vis à vis de son ami est semblable à
celle de la concierge avec le nouveau
locataire, dans la pièce du même titre, il n'accepte
pas que les êtres lui résistent et n'entrent pas dans sa
conception rationnelle du monde, parce qu'il n'admet pas que son entendement
puisse avoir des limites. Par l'esprit, il se croit infini. C'est pourquoi
il s'efforce de réduire Bérenger à lui, s'assurant
ainsi de la toute-puissance de sa logique ; et, pour cela, il se présente
comme un absolu, un dieu vers lequel on doit tendre afin d'arriver à
la Vérité : la sienne :
"- Jean
: Voilà ce qu'il faut faire : vous vous habillez correctement,
vous vous rasez tous les jours, vous mettez une chemise propre.
- Bérenger : C'est cher, le blanchissage...
- Jean : Economisez sur l'alcool. Ceci pour l'extérieur
: chapeau, cravate comme celle-ci, costume élégant,
chaussures bien cirées. (En parlant
des éléments vestimentaires, Jean montre, avec
fatuité, son propre chapeau, sa propre cravate, ses
propres souliers.)"
(Id., p. 27).
|
Mais, agissant de la sorte,
il se soumet aux moindres réactions de Bérenger, dont
il a peur qu'elles s'écartent de la droite ligne qu'il leur a
fixée, et qu'elles prouvent, par là-même, que son
ami n'entre pas dans le cadre rigide de sa pensée; c'est pourquoi
il est toujours sur la défensive :
"- Bérenger : Comment pouvez-vous penser...
- Jean, l'interrompant : Je pense ce
qui est !
- Bérenger : Je vous assure...
- Jean, l'interrompant : ... que vous
vous payez ma tête !
- Bérenger : Vraiment vous êtes
têtu.
- Jean : Vous me traitez de bourrique, par-dessus le marché.
Vous voyez bien, vous m'insultez."
(Id.,
p. 21).
|
Cet état agressif
témoigne de la position inférieure de celui qui se veut
supérieur, il se fait l'esclave de celui qu'il veut asservir.
Les rapports de Bérenger et de Jean sont dans la lignée
de ceux du Vieux et de la Vieille des "Chaises",
de Choubert et de Madeleine dans "Victimes
du Devoir", d'Amédée et de Madeleine, ("Amédée
ou Comment s'en débarrasser"), et enfin de Bérenger
et d'Edouard ("Tueur sans Gages").
L'amitié de Jean prouve, là encore, l'attirance des puissances
agressives pour ce qui leur échappe, dans la pensée que
tout est rationnel, étant bien entendu qu'il ne s'agit là
que de la formulation d'un désir pris pour une réalité,
puisque cela reste indémontré. Mais, lorsque ce postulat
ne peut pas être vérifié, plutôt que de douter
de l'ampleur de perception de sa propre intelligence, l'individu dénie
toute logique, c'est-à-dire tout caractère humain à
qui lui résiste, l'humain désignant ce qui est semblable
à lui ; tout être différent de lui devient alors
"sous-humain" et donc animal :
" - Jean
: Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pèse
ou est-ce la multitude ? Vous vous prenez pour un penseur
et vous n'avez aucune logique."
(Id.,
p. 24).
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Et aussi :
" - Jean
: Vous n'existez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas
! Pensez et vous serez."
(Id.,
p. 25).
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Cela explique qu'il finisse
par traiter Bérenger de rhinocéros, en même temps
qu'il rompe avec lui. De même que la
concierge du "Nouveau Locataire", Jean, comme tout personnage
agressif, ne peut pas soutenir la présence de l'obstacle, puisque
l'essence même du désir est de faire croire à celui
qui en est possédé, qu'il ne peut pas rencontrer d'embûche
:
" - Jean
: Je ne parie pas avec vous. Les deux cornes, c'est vous qui
les avez ! Espèce d'Asiatique !"
(Id.,
p. 36).
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Assimilant son ami à
la bête qu'il porte en lui, Jean réduit donc bien le monde
extérieur à la partie de lui contre laquelle il a commencé
par se révolter au nom de ses idées humanistes. A travers
le rhinocéros, c'est lui-même qu'il rejette, ainsi que
dans "Tueur sans Gages",
Bérenger refusait la laideur de son monde intérieur, et
se trouvait devant lui, en croyant être face à l'assassin.
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Métamorphose due à l'affirmation du "devenir"
comme d'un "être"
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La métamorphose de
Jean permet de comprendre comment un individu est amené progressivement
à devenir ce qu'il repoussait. Dominé par son orgueil
qui l'entraîne à s'affirmer envers et contre tout, c'est-à-dire
à ne jamais accepter d'avoir pu commettre une erreur, ce personnage
reste toujours en accord avec le "devenir" de son corps, que
ses pulsions agressives lui présentent comme un "être"
par le biais de la justification rationnelle. En se cramponnant au système
par lequel il organise la vie, Jean est poussé par la puissance
dominatrice qui se dissimule derrière cette logique, à
prendre une voie de traverse en se croyant sur la grande route :
" - Jean
: Je n'ai point de bosse. Dans ma famille, on n'en a jamais
eu.
- Bérenger : Avez-vous une glace ?
- Jean : Ah ça alors ! (Se tâtant
le front) On dirait bien pourtant. Je vais voir dans
la salle de bains. (Il se lève brusquement
et se dirige vers la salle de bains. Bérenger le suit
du regard. De la salle de bains ): C'est vrai, j'ai
une bosse. (Il revient, son teint est devenu
plus verdâtre.) Vous voyez bien que je me suis
cogné."
(Id.,
p. 70).
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Toutes ses paroles n'ont
donc aucune valeur. Elles ne visent qu'à le faire se croire un
"être" immuable, alors qu'il change sans cesse, de sorte
que, nécessairement, c'est Bérenger qui lui semble se
transformer. Il est comme un homme qui voudrait à la fois monter
dans un train (céder à la tentation de dominer le monde
par une structuration logique), et qui, en même temps, n'admettrait
pas qu'il doive se déplacer avec le train, soutenant, en voyant
bouger le paysage, qu'il est resté au même endroit :
" - Jean
: Pourquoi serais-je enroué ? Ma voix n'a pas changé,
c'est plutôt la vôtre qui a changé..."
(Id.,
p. 69).
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Mais, à la différence
du train qui arrive, en principe, comme il est parti, la carcasse rationnelle
elle-même se modifie par une prise de conscience des besoins du
nouvel état auquel le personnage est arrivé. Jean dit
en effet qu'il doit "chercher sa nourriture" (Rhinocéros,
p. 71) et avoue n'avoir confiance que dans les vétérinaires.
Parallèlement toutes ses théories humanistes sur la loi
morale cèdent le pas à d'autres sur la loi de la jungle
considérée comme la libération de toutes les contraintes
:
" - Jean
: La morale ! Parlons-en de la morale, j'en ai assez de la
morale, elle est belle la morale ! Il faut dépasser
la morale.
- Bérenger : Que mettriez-vous à la place ?
- Jean : La nature !
- Bérenger : La nature ?
- Jean : La nature a ses lois. La morale est antinaturelle.
- Bérenger : Si je comprends, vous voulez remplacer
la loi morale par la loi de la jungle !
- Jean : J'y vivrai, j'y vivrai (...) Il faut reconstituer
les fondements de notre vie. Il faut retourner à l'intégrité
primordiale."
(Id.,
pp. 75-76).
|
Pourtant, l'agressivité que Jean développe contre Bérenger
indique bien qu'il n'est jamais totalement dupe de ce train lui donnant
l'illusion de l'arrêt, d'autant plus fortement qu'il va plus vite
:
" - Jean
: Qu'avez-vous à m'examiner comme une bête curieuse
?
- Bérenger : Votre peau...
- Jean : Qu'est-ce qu'elle peut vous faire ma peau ? Est-ce
que je m'occupe de votre peau ?"
(Id.,
p. 71).
|
Son ami lui devient si insupportable
qu'il cherchera à le détruire, à le piétiner
:
"- Jean, dans la salle de bains : Je te piétinerai,
je te piétinerai. (Grand bruit dans
la salle de bains, bruits d'objets et d'une glace qui tombe
et se brise ; puis on voit apparaître Bérenger
tout effrayé qui ferme avec peine la porte de la salle
de bains, malgré la poussée contraire que l'on
devine)."
(Id.,
p. 78).
|
Il n'y a d'agressivité
que pour se débarrasser de l'incohérence que l'orgueil
empêche de reconnaître.
|
La logique, conséquence d'une obstination quasi criminelle
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La structuration rationnelle de l'univers apparaît désormais
comme une obstination quasi criminelle à se séparer
de soi, et de tout ce qui rappelle une étape précédente
de son "devenir", en témoignant de l'impossibilité
d'être hors du temps, que semblait assurer la rigidité
immuable des idées présidant à cette attitude
de vie. Jean ne peut pas se défaire du sentiment de l'absurde
: plus il se ferme à son ami, plus le sentiment de son erreur
le ramène à lui, à cette force en quelque sorte
centrifuge, par laquelle il perçoit encore une réalité
extérieure qui ne se plie pas à son désir.
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Botard est cet institeur en retraite qui sait tout et comprend tout,
selon les précisions de l'auteur. Il incarne un autre aspect
de cette volonté de rationnaliser l'univers, et en fait sentir
toute l'inanité. Refusant de croire à l'existence des
rhinocéros tant qu'il ne les aura pas vus, il est guidé,
comme le lui dira son collègue Dudard, par la haine de ses supérieurs,
mais il méprise aussi Bérenger qui lui est inférieur
dans la hiérarchie sociale, à partir du moment où
il n'est plus d'accord avec lui, en alléguant le prétexte
de son ivrognerie.
Lorsqu'il doit admettre l'évidence rhinocérique qu'il
rejetait parce qu'illogique, il en rend coupable Dudard, sans avoir
le moindre indice qui puisse justifier son accusation :
"- Botard
: C'est une machination infâme ! (D'un
geste d'orateur de tribune, pointant son doigt vers Dudard
et le foudroyant du regard :) C'est votre faute
- Dudard : Pourquoi la mienne et pas la vôtre ?
- Botard, furieux : Ma faute ? C'est
toujours sur les petits que ça retombe."
(Id.,
p. 57-58).
|
Le procédé
de Botard n'est pas sans rappeler celui de Jean traitant son ami d'"Asiatique".
Il s'agit du même processus, l'incompréhensible introduisant
la finitude et la mort dans l'univers intellectuel du personnage tragique,
alors qu'il s'y croyait en sécurité, en pensant s'être
rendu maître de sa condition grâce à lui, cet incompréhensible
devient l'ennemi du désir qui meut l'intelligence, et il est
assimilé à ce titre, sans autre préambule avec
l'objet connu de l'agressivité que représentent les "grands",
les exploiteurs. Dès qu'un élément nouveau entre
en ligne de compte, Botard se fait plus violent : ainsi, Monsieur Papillon
trouvant dans la rhinocérite de Boeuf le motif qu'il cherchait
pour le mettre à la porte, aussitôt, l'instituteur, paraissant
subitement illuminé (en fait, ébloui par son désir
de confondre le fléau inconnu avec le fléau connu), croit
comprendre que cette métamorphose est un phénomène
suscité par les patrons pour l'écrasement des "petits"
:
"- Monsieur
Papillon : Par exemple ! Cette fois, je le mets à la
porte pour de bon ! (...)
- Botard, à part : Je comprends
tout... (...)
- Botard, suivant le cortège et levant
les bras au ciel : C'est de la folie pure ! Quelle
société ! (On s'empresse autour
de Madame Boeuf, on tapote ses joues, elle ouvre les yeux,
pousse un "Ah" referme les yeux, on retapote ses
joues pendant que Botard parle). En tout cas, soyez
certains que je dirai tout à mon comité d'action.
Je n'abandonnerai pas un collègue dans le besoin. Cela
se saura."
(Id.,
p. 59).
|
La compréhension de Botard qui le rend menaçant vise seulement
à ramener le mal à l'intérieur de sa structuration
de l'univers : la lutte des classes, c'est-à-dire, par la même
occasion, à avoir mis le danger à sa portée et
à se sentir en sécurité à nouveau, dans
la mesure où il obtiendra la protection de son syndicat. Mais
les germes du mal sont en lui, puisque, en voulant imposer sa loi aux
patrons et donc être supérieur aux supérieurs, alors
qu'il leur en veut précisément pour leur supériorité,
il va se transformer en rhinocéros. La vie de Botard n'a de sens
que dans la mesure où il peut s'élever contre les "grands"
puisqu'il a mis sa raison d'être dans la défense des "petits".
C'est pourquoi il ne peut pas se passer de ses chefs. Lorsque Monsieur
Papillon deviendra rhinocéros, il sera tout d'abord exaspéré,
et pour cause, il perd sa pâture quotidienne, son intelligence
sombre dans le chaos :
"- Dudard
: Ce pauvre Monsieur Botard, il était indigné,
il était outré. J'ai rarement vu quelqu'un de
plus exaspéré."
(Id.,
p. 92).
|
Il n'est pas étonnant
qu'il n'attende pas plus d'un jour pour le retrouver, à la stupéfaction
de ses collègues :
"- Daisy
: Je sais qu'il était contre. Pourtant, il est devenu
tout de même rhinocéros, vingt-quatre heures
après la transformation de Monsieur Papillon. (...)
- Daisy : Il a dit textuellement : il faut suivre son temps
! Ce furent ses dernières paroles humaines ! "
(Id.,
p. 98).
|
Ainsi donc,
quand l'objet de son agressivité échappe au personnage tragique, dans le fléau
qu'il confondait avec lui, ce dernier le suit, s'intègre à
ce qu'il ne comprend pas, en croyant dominer la situation et donc faire
de l'objet de sa révolte sa nouvelle logique : car il est probable
que Botard a vu dans la rhinocérite des patrons une nouvelle
ruse de ceux-ci contre les "exploités", et il a pensé
la déjouer en y participant par ce biais logique.
Sa vision du monde est donc, en définitive, fondée sur
une lutte qu'il a introduite en lui. Il a inclus dans sa vie intérieure
les autres comme des adversaires vis-à-vis desquels il doit constamment
se défendre, parce qu'en ayant l'impression de les comprendre,
il a cru les réduire à lui. En fait, il souffre seul et
passe son temps à se déchirer, dans l'illusion de déchirer
ses semblables, alors qu'il les amuse :
"- Botard, continuant, terrible : Et je connais
aussi les noms de tous les responsables. Les noms des traîtres.
Je ne suis pas dupe. Je vous ferai connaître le but
et la signification de cette provocation ! Je démasquerai
les instigateurs.
- Bérenger : Qui aurait intérêt à
?...
- Dudard : Vous divaguez, Monsieur Botard.
- Monsieur Papillon : Ne divaguons point.
- Botard : Moi, je divague, je divague ?"
(Id.,
p. 62).
|
|
|
Dudard, employé d'avenir
qui doit succéder au chef de service, tire son orgueil de sa
culture de licencié en droit. Et, si sa supériorité
est contestée par Botard, elle ne l'est absolument pas par Monsieur
Papillon, ni par Bérenger. Ce dernier, en effet, qui aime en
secret la dactylo, n'ose pas se déclarer, la croyant subjuguée
par les diplômes du sous-chef, comme il l'expliquait à
Jean :
"- Bérenger
: Dudard. Un collègue de bureau, licencié en
droit, juriste, grand avenir dans la maison, de l'avenir dans
le coeur de Daisy ; je ne peux pas rivaliser avec lui."
(Id.,
p. 25-26).
|
Mais précisément,
Dudard, qui ne manque pas une occasion pour étaler sa culture,
en croyant se faire admirer et aimer, se ferme en réalité
à l'amour. Sa tournure d'esprit, qu'il qualifie de scientifique,
lui fait adopter une attitude objective face à toutes les énigmes
que la vie met sur son chemin, et, en l'occurence, celle des rhinocéros,
en partant du principe que tout est logique :
"- Dudard
: Mon cher Bérenger, il faut toujours essayer de comprendre.
Et lorsqu'on veut comprendre un phénomène et
ses effets, il faut remonter jusqu'à ses causes, par
un effort intellectuel honnête. Mais il faut tâcher
de le faire, car nous sommes des êtres pensants. Je
n'ai pas réussi, je vous le répète, je
ne sais pas si je réussirai. De toute façon,
on doit avoir, au départ, un préjugé
favorable, ou sinon, au moins une neutralité, une ouverture
d'esprit qui est le propre de la mentalité scientifique.
Tout est logique. Comprendre c'est justifier.
- Bérenger : Vous allez bientôt devenir un sympathisant
des rhinocéros.
- Dudard : Mais non, mais non. Je n'irai pas jusque là."
(Id.,
p. 93).
|
Et pour tenter de comprendre,
l'être rationnel doit se détacher du phénomène,
et donc l'objectiver pour le soumettre à son esprit. C'est pourquoi
il pense l'humour nécessaire à la démarche scientifique,
et reproche à Bérenger de ne pas en avoir (cf.,
p. 87). En fait, cette attitude lui permet de se sentir à
l'abri du mal, derrière cette idée que tout est logique,
en croyant s'en rendre maître. Il ne se rend pas compte justement
que le germe du fléau est dans les pulsions dominatrices qui
animent son esprit, parce qu'il ne sort pas du cadre de sa pensée,
il ne sort pas de lui :
"- Dudard
: Moi aussi, j'ai été surpris, comme vous. Je
ne le suis plus. Je commence déjà à m'habituer."
(Id.,
p. 88).
|
En objectivant la rhinocérite, il se sépare de la partie
de lui dont il a peur. En cherchant à dominer par l'esprit la
condition de l'homme, il doit nécessairement rejeter la vérité
du sentiment qui provient de l'unité avec soi-même, et
tenter de la saisir dans les filets de son intelligence. Et pourtant,
il recherche sans se l'avouer l'amour de Daisy. S'enfermant dans une
attitude critique vis-à-vis du monde, il ne s'aperçoit
pas qu'il est le jouet d'un cercle vicieux le roulant dans le chaos
de l'irrationnel et l'obligeant à se contredire sans cesse. C'est
ainsi qu'il passe son temps à juger Bérenger, alors qu'il
lui recommande de ne pas juger les autres :
"- Dudard
: Ne jugez pas les autres, si vous ne voulez pas être
jugé."
(Id.,
p. 88).
|
Il prône, comme Jean, le retour à la nature, disant que
rien n'est plus naturel qu'un rhinocéros. Mais, lorsque Bérenger
lui objecte qu'un homme devenant rhinocéros est beaucoup moins
normal, il lui démontre qu'il est impossible de définir
le normal et l'anormal ; dans ce cas, comment peut-il parler du naturel
qui ne doit pas se définir plus facilement ? Lui qui prend ses
distances vis-à-vis de la vie et du sentiment, attend cependant
d'être aimé pour sa supériorité, qui réside
précisément dans la façon dont, grâce à
sa culture d'intellectuel, il se ferme à l'amour. En un mot,
il attend l'amour qu'il rejette, si bien qu'il coupe des verges pour
se faire fouetter, et ne vient chez Bérenger que pour s'assurer
que Daisy ne l'aime pas :
"- Dudard
: J'étais presque sûr que j'allais vous rencontrer,
Mademoiselle Daisy."
(Id.,
p. 98).
|
Et ses apartés sont
autant de confirmations de ce qu'il soupçonnait :
"- Dudard, à part : Oh mais elle connaît
très bien la maison..."
(Id.,
p. 101).
|
Les pulsions troubles qui
l'ont poussé chez son collègue continuent à le
duper en lui apportant une satisfaction d'orgueil, dans la vérification
de la validité de sa pensée : Le sentiment ne peut pas
faire partie de ce qu'il comprend du monde. Par conséquent, il
ne s'agit donc bien que d'une illusion bonne pour un Bérenger,
ce qui le conduit à choisir "la grande famille universelle",
celle des rhinocéros :
"- Dudard
: J'ai renoncé au mariage, je préfère
la grande famille universelle à la petite."
(Id.,
p. 103).
|
Dudard
s'est donc enfermé dans l'idée que tout était logique,
idée qui est devenue une véritable carapace, et il a espéré
faire parvenir à lui l'amour de Daisy sans enlever cette carapace,
bien plus, il a cru le susciter grâce à elle. Lorsqu'il
a compris qu'elle ne l'aimait pas (mais son orgueil le poussait déjà
à penser que l'amour n'existait pas), il a acquis la certitude
que tout ce qui n'était pas rationnel était faux. Plus
rien ne l'attache désormais à quiconque, et il n'a qu'un
pas à faire pour se transformer en rhinocéros, non sans
s'être auparavant inconsciemment renié en dévoilant
tout le tragique de sa position.
Lui, qui vantait les vertus de l'humour et de la distanciation est subitement
pris de scrupules. En outre, il convainc Bérenger et Daisy de
ses bons sentiments, alors qu'il ne voyait dans le sentiment, le Bien
et le Mal que paroles creuses. Il veut bien se transformer en rhinocéros
afin de rester un homme et de pouvoir éclairer ses congénères,
étant toujours dupe de l'illusion de pouvoir dominer sa condition,
quelqu'elle soit :
"- Dudard
: J'ai des scrupules ! Mon devoir m'impose de suivre mes chefs
et mes camarades, pour le meilleur et pour le pire. (...)
Je conserverai ma lucidité. (Il se met
à tourner en rond sur le plateau). Toute ma
lucidité. S'il y a à critiquer, il vaut mieux
critiquer du dedans que du dehors. Je ne les abandonnerai
pas, je ne les abandonnerai pas."
(Id.,
p. 103).
|
Il ne s'aperçoit pas
que, derrière ce qu'il appelle lucidité, se cache une
puissance qui, en le coupant des autres, en fait une bête brute,
pire qu'une bête : un instrument des ténèbres, et
que l'humain est perdu à partir du moment où il ne croit
plus qu'au pouvoir de son intelligence, car il veut tout réduire
à lui, c'est-à-dire tout écraser. C'est alors un
monstre en puissance.
|
Monsieur Papillon ou la volonté d'être
supérieur à ses supérieurs
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Monsieur
Papillon avec son faux col amidonné, sa cravate noire, sa grosse
moustache brune et sa légion d'honneur, incarne la dignité
du chef de service. Il veut bien prendre part, quelques instants, à
la conversation de ses employés sur la rhinocérite, mais
il finit par la qualifier de "polémique stérile",
usant de l'autorité que lui confère son rang parmi eux.
Il s'affirme par sa situation sociale, ce qui lui permet de sortir en
claquant la porte, après avoir averti ses subordonnés
de ne plus perdre leur temps, sous peine d'amende :
"- Monsieur Papillon : Messieurs,
dépêchez-vous. Je ne veux pas être dans
la triste obligation de vous retenir une amende sur vos traitements."
(Id., p. 52).
|
Il ne se considère jamais visé directement
par les pointes, pourtant aiguisées, que lui décoche Botard,
mais il est aisé de sentir, à la façon dont il
prend la défense de Dudard, que, s'il s'estime hors de leur atteinte,
du fait de la cloison qui sépare son bureau particulier de celui
du personnel, il n'entend pas être dénigré en la
personne de celui qui est appelé à lui succéder,
mais qui, n'ayant pas encore franchi la porte qui doit l'élever,
est encore concerné par leurs remarques :
"- Monsieur Papillon, à
Botard : Je crois que vous dépassez les limites
de la politesse.
- Dudard, à Monsieur Papillon : Je le pense aussi, Monsieur.
- Monsieur, à Botard : Vous n'allez
pas dire que mon collaborateur et votre collègue, qui
est licencié en droit, est un ignorant."
(Id., p. 49).
|
Cette affirmation
de la supériorité de Dudard, due aux études qu'il
a faites, sous-entend la hauteur à laquelle se place le chef
de service.
Par ailleurs, il ne se croit pas pour autant inférieur aux membres
de la direction générale, comme le voudrait la hiérarchie
qu'il fait respecter à ses subordonnés. Bien au contraire,
il les estime incapables de remplir correctement leur fonction, et,
lorsque l'escalier s'effondre, s'en montre heureux, car cela lui permet
de remporter une victoire sur elle, animé de la même réaction
que l'architecte, à la mort
de Dany, dans "Tueur sans Gages" :
"- Monsieur Papillon : Il nous
a démoli l'escalier, tant mieux, une chose pareille
devait arriver ! Depuis le temps que je demande à la
direction de nous construire des marches de ciment pour remplacer
ce vieil escalier vermoulu. (...) Cela devait arriver, cela
devait arriver. C'était à prévoir. J'ai
eu raison.
- Daisy, à Monsieur Papillon, ironique : Comme d'habitude."
(Id., p. 57).
|
Dès lors, l'ironie de Daisy
indique que, si le chef de service ne tient pas tête à
ses subordonnés, il cherche par contre par tous les moyens à
être supérieur à ses supérieurs, en rejetant
les torts sur eux. Il ne pense pas un instant à la responsabilité
du rhinocéros tant que ce dernier n'est pas identifié.
Le processus tragique selon
lequel Botard rendait son chef responsable de la rhinocérite
se retrouve ici. Monsieur Papillon rejette la responsabilité
de l'irréductible à lui sur l'objet de son agressivité
incarné par les hommes qu'il cherche à dominer. Il oublie
le rhinocéros dans ses accusations, car il lui est inconnu,
jusqu'au moment où il apprend qu'il s'agit de Boeuf, l'un de
ses employés, alors il se retourne contre lui :
"- Monsieur Papillon : Par exemple
! Cette fois je le mets à la porte pour de bon."
(Id., p. 58).
|
Ce désir de supériorité dont fait preuve le chef
de service à l'intérieur de sa profession laisse voir
à quel point son travail constitue, pour lui, les ornières
qu'il s'est tracées, et dans lesquelles il fonce déjà
comme une brute pour "arriver" : arriver à dominer
ceux qui le dominent. Devant l'énigme rhinocérique, ses
seules préoccupations ont trait au rendement de ses employés
dont il cherche à minimiser la réduction :
"- Monsieur Papillon : Il faudra
rattraper les heures de travail perdues."
(Id., p. 61).
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Lorsque l'échelle des pompiers vient les aider à sortir
par la fenêtre, il pense encore à revenir travailler ;
et, jusque sur cette échelle, et même quand on ne le verra
plus, il donnera des consignes pour le travail. Il est persuadé
que rien ne doit, ni ne peut troubler la ligne de conduite qu'il s'est
fixée et qui doit le faire accéder à la direction
générale. Il a perdu tout sentiment de l'existence d'un
monde extérieur qui ne soit pas au service de ses désirs,
et se comporte vis-à-vis de ses employés comme s'il s'agissait
d'objets en sa possession, d'instruments de son ambition. C'est ainsi
qu'il ne se gêne pas pour caresser la joue de Daisy, sans se formaliser
de l'indignation de la dactylo qui voit en lui la brute en puissance
:
"- Monsieur Papillon, plaisantant
amoureusement en caressant la joue de la dactylo :
Je vous prendrai dans mes bras et nous sauterons ensemble.
- Daisy, repoussant la main du chef de service : Ne mettez pas sur ma figure votre main rugueuse,
espèce de pachyderme.
- Monsieur Papillon : Je plaisantais."
(Id., p. 58).
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Il va même jusqu'à s'introduire dans leur vie privée,
chercher à séparer entre eux, ceux qu'il a séparés
de lui et ceux qu'il garde :
"- Monsieur Papillon, à
Madame Boeuf : Si vous voulez divorcer... Vous avez
maintenant une bonne raison.
- Dudard : Ce sera certainement à ses torts.
- Madame Boeuf : Non ! le pauvre ! ce n'est pas le moment,
je ne peux pas abandonner mon mari dans cet état."
(Id., p. 60).
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L'apport capital de "Rhinocéros", jusqu'à
présent, ne consiste pas dans une nouveauté, mais dans
une confirmation de ce que dévoilaient déjà les
pièces précédentes. Les théories de Jean
se conformant aux besoins de son corps, renforcent cette idée
que toute logique n'a rien d'absolu, mais est la conséquence
des forces du "pour soi". L'agressivité qui se dissimulait
derrière le système rationnel, éclate à
partir du moment où le monde extérieur résiste
à l'organisation qu'en a faite l'esprit, c'est-à-dire
lorsque la réalité n'est plus en accord avec le désir,
de sorte que le personnage tragique nie tout caractère humain et toute valeur à ce qui ne
lui est pas clair. Cela signifie en outre que, par l'esprit, il se
croit le centre du monde et que sa structuration de l'univers ne vise
qu'à le réduire à lui, ce qui est le propre de
toute pulsion dominatrice. Comme pour la
concierge du "Nouveau Locataire", la présence
de l'obstacle est insoutenable pour Jean, et cela explique le fondement
agressif de la logique. Par elle, l'humain se sent en sécurité.
Il croit avoir échappé à la finitude de sa condition,
à la mort qu'il ne veut pas voir ; c'est pourquoi il ne peut
pas supporter l'obstacle qui réintroduit la finitude dans la
vie, c'est ainsi que Botard est tranquillisé lorsqu'il s'en
remet à son syndicat. Dans le moment où l'individu croit
à la toute-puissance de sa logique, il oublie qu'il doit mourir.
Aussitôt qu'il se tient à une conclusion de son intelligence,
il se croit l'Eternel. Le tragique est là extrêmement profond : si l'homme ne parvient pas
à se libérer à chaque instant de l'existence
de son organisation de l'univers, il se ferme au monde et à
la vie, et court peu à peu à sa perte. C'est le cas
de tous ces personnages, et c'est très sensible chez Dudard,
où Ionesco montre comment la foi en la pensée de celui-ci,
l'amène à se séparer des êtres auquel il
s'était attaché d'une façon obscure, et à
devenir moins qu'un animal féroce. Il en va de même pour
Monsieur Papillon, fonçant dans la voie qu'il s'est tracée
sans rien voir autour de lui. Toute idée donne à l'être
humain des oeillères l'empêchant de voir les ténèbres
où il sombre, ébloui qu'il est par le but qu'il s'est
fixé.
|
|
Avec Daisy, atteinte elle aussi de rhinocérite, tout se passe
à un degré encore plus obscur. C'est tout le tragique de la bonne âme qui est remis en cause ici et éclairé
de façon différente. Les traits dominants de son caractère
sont sans doute sa compassion pour les faibles et le refus de toute
méchanceté.
En effet, elle incite Bérenger et Jean au calme, quand ils se
disputent, et prend le parti du fuyard comme d'un opprimé (cf.
p. 37). Les reproches par lesquels elle se tourne contre celui qui
est disposé à l'écouter, révèlent
qu'en ne pouvant pas supporter le développement de l'agressivité
en sa présence, elle cède à des pulsions qui, bien
que déguisées, sont de même nature. Et cela dénote
une certaine faiblesse en elle. Elle se conduira identiquement dans
la controverse qui opposera Dudard à Botard. Par ailleurs, sa
bonne volonté se manifestera à plusieurs reprises : dans
les consolations qu'elle apportera à la ménagère
pleurant son chat écrasé par un rhinocéros, dans
son obéissance au chef de service, ou encore dans les soins qu'elle
prodiguera à Madame Boeuf, à tel point que son amour pour
Bérenger semble procéder de la même sollicitude
qu'a su attirer la faiblesse de ce personnage :
"- Daisy
: Le pauvre, il n'a personne. Il est un peu malade aussi en
ce moment, il faut bien l'aider un peu."
(Id., p. 97).
|
Tant qu'elle peut se dévouer
pour Bérenger, et qu'elle s'efforce de lui redonner la santé,
les rhinocéros ne l'inquiètent pas, apparemment :
"- Daisy
: La chose la plus sensée est de laisser les statisticiens
à leurs travaux. Allons, mon cher Bérenger,
venez déjeûner. Cela vous calmera? Ca va vous
remonter. "
(Id., p. 102).
|
En fait, elle cache son inquiétude
dans l'attente que Bérenger soit fort et la protège :
"- Bérenger
: Comme je voudrais te rendre heureuse ! Peux-tu l'être
avec moi ?
- Daisy : Pourquoi pas ? Si tu l'es, je le suis. Tu dis que
tu ne crains rien, et tu as peur de tout ! Que peut-il nous
arriver ?. "
(Id., p. 105).
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En échange de son dévouement, elle attend un soutien :le
bonheur qu'elle espère lire sur le visage de son amant.
"- Daisy
: Tu vas tout gâcher avec tes cas de conscience ! Nous
avons tous des fautes, peut-être. Pourtant, toi et moi,
nous en avons moins que tant d'autres.
- Bérenger : Tu crois vraiment ?
- Daisy : Nous sommes relativement meilleurs que la plupart
des gens. Nous sommes bons, tous les deux."
(Id., p. 108).
|
La compassion de la dactylo
se trouve prise dans les filets du désir par les calculs qui
doivent lui permettre d'échapper au mal, si la rhinocérite
en est un :
"- Daisy
: Nous ne voulons de mal à personne. Personne ne nous
veut du mal, chéri."
(Id., p. 107).
|
L'argumentation se poursuit
: le Mal est un malheur, si on ne le fait pas, on doit être heureux.
Le bonheur est une preuve de pureté, c'est pourquoi elle a besoin
de la joie de Bérenger, sans savoir s'il est dans la Vérité
en restant homme envers et contre en tout, sinon, ce sont les rhinocéros
qui ont raison. Le bonheur est une obligation pour rester humain :
"- Daisy
: Alors, nous avons le droit de vivre. Nous avons même
le devoir vis-à-vis de nous-mêmes d'être
heureux, indépendamment de tout. La culpabilité
est un symptôme dangereux. C'est un signe de manque
de pureté.
- Bérenger : Ah oui, cela peut mener à ça... (il montre du doigt, en direction des fenêtres
sous lesquelles passent des rhinocéros, le mur du fond
où apparaît une tête de rhinocéros...) beaucoup d'entre eux ont commencé comme ça !
- Daisy : Essayons de ne plus nous sentir coupables.
(Id., p. 108).
|
Il est
très intéressant de constater, avec ce raisonnement de
la dactylo, à quel point toute logique affaiblit l'être
humain, en le faisant chercher à vérifier dans les autres
des conclusions qu'il a tirées de son expérience personnelle,
alors que cette expérience se suffisait à elle-même.
Le tragique de l'objectivité
provient de ce qu'elle arrête l'individu dans la voie de la découverte
de soi, en le détournant de lui vers les autres. Puisque Daisy
avait la certitude que le bonheur se trouvait dans l'absence de culpabilité,
c'est à elle qu'il incombait de se purifier en creusant cette
découverte, et en témoignant par une sérénité
croissante de la force de la vérité qu'elle a entrevue,
au lieu d'attendre que Bérenger, qui n'a pas trouvé cela,
soit heureux pour l'être elle-même. Il lui a suffi d'avoir
cru en sa propre bonté pour ne plus rien faire, c'est à
dire pour ne plus rien donner et tout espérer, si bien qu'il
apparaît de plus en plus, qu'il est impossible de s'arrêter
à une logique de son action, sans la déprécier
et succomber aux forces du "pour soi".
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Son appréhension lorsque sonne le téléphone trahit
son désir d'écarter d'elle toute agressivité, qui
est désormais plus facile à comprendre. Elle ne peut pas
supporter la méchanceté parce que c'est un signe d'impureté,
elle la refuse dans les autres parce qu'elle la refuse en elle-même,
sans s'apercevoir que cette attitude, elle aussi agressive, est impure.
Toute ironie à son égard met en cause la logique de son
action qui lui donne l'impression de la sécurité... La
rationnalisation de la vie relève toujours de cette même
volonté de mort, par laquelle l'individu affirme son innocence
une fois pour toutes, sans accepter de se remettre en question et d'être
remis en question par les autres. C'est la raispon pour laquelle Daisy
se révolte contre les moqueries des rhinocéros, et en
rejette la responsabilité sur Bérenger, contre qui elle
a accumulé une agressivité sourde, à partir du
moment où elle a senti qu'il ne se pliait pas à sa conception
de la vie :
"- Daisy
: Ils ne sont pas gentils. C'est méchant. Je n'aime
pas qu'on se moque de moi.
- Bérenger : Ils n'oseraient pas se moquer de toi.
C'est de moi qu'ils se moquent.
- Daisy : Et comme je suis avec toi, bien entendu, j'en prends
ma part..."
(Id., p. 108).
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Désormais, elle bascule
dans la peur, sa logique s'effondre, le désir ne lui donne plus
l'illusion de la réalité, sa pensée se précipite
vers les bêtes qu'elle fuyait. Puisqu'elle reçoit "(sa)
part" du mal, c'est qu'elle est coupable de rester humaine avec
Bérenger. Elle renie tout ce qu'elle disait peu de temps auparavant,
et son amant éphémère le lui répète
vainement :
"- Bérenger
: N'y pense plus. Il ne faut pas avoir de remords. Le sentiment
de la culpabilité est dangereux. Nous avons le devoir
d'être heureux. Ils ne sont pas méchants, on
ne leur fait pas de mal. Ils nous laisseront tranquilles."
(Id., p. 111).
|
Elle renie aussi l'amour,
qu'elle avait enfermé dans un tissu de bonnes raisons, en croyant
que l'oubli de soi pouvait survivre à l'intérieur d'une
justification de soi. Elle a cru pouvoir faire dépendre le sentiment
de l'intelligence :
"- Daisy
: J'en ai un peu honte de ce que tu appelles l'amour, ce sentiment
morbide, cette faiblesse de l'homme. Et de la femme. Cela
ne peut se comparer avec l'ardeur, l'énergie extraordinaire
que dégagent tous ces êtres qui nous entourent."
(Id., p. 113).
|
Comme les Buccinioni devant
le cadavre, Daisy se laisse séduire par la musique et la beauté
qui se dégagent des rhinoceros, éblouie en fait par son
désir de les rejoindre :
"- Daisy
: (Bruits devenus mélodieux des rhinocéros).
Ils chantent, tu entends.
- Bérenger : Ils ne chantent pas, ils barrissent (...).
- Daisy : Tu n'y connais rien en musique, mon pauvre ami,
et puis regardes, ils jouent, ils dansent.
- Bérenger : Tu appelles ça de la danse ?
- Daisy : C'est leur façon. Ils sont beaux.
- Bérenger : Ils sont ignobles !
- Daisy : Je ne veux pas qu'on en dise du mal. Ca me fait
de la peine. "
(Id., p. 114).
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Daisy retrouve pour les bêtes
la compassion qu'elle éprouvait pour les hommes et qui l'entraîne
à sa perte : sa fidélité à elle-même
l'oblige dans le même temps à rompre avec elle-même,
car elle n'a aucune pitié véritable pour Bérenger,
ce qui explique qu'elle parte lentement, comme à regret, se justifiant
du manque, en Bérenger, d'une gentillesse dont elle s'est dit,
une fois pour toutes, qu'elle faisait preuve. Elle a fait de la bonté
sa raison d'être, et, comme toute raison d'être, celle-ci
n'est qu'une raison de devenir. En se métamorphosant en rhinocéros,
la dactylo ne fait que matérialiser la carapace que constituait
son organisation rationnelle de la vie. Son dévouement n'était
qu'une illusion, il n'était tourné vers les autres qu'en
vue de son bénéfice personnel, c'était un crochet
qui passait par les autres pour revenir à elle, afin de se donner
bonne conscience. Elle fonçait tête baissée vers
un seul but : son propre bonheur. Une phrase révèle en
effet qu'elle soignait les autres dans l'espoir d'être soignée
par eux : et que sa compassion était pour elle, en réalité
:
"- Daisy
: Après tout, c'est peut-être nous qui avons
besoin d'être sauvés. C'est nous, peut-être,
les anormaux."
(Id., p. 112).
|
Cela va très loin
: la rhinocérite de Daisy démontre que l'être humain
ne peut pas prendre conscience de sa propre bonté, que, même
si tous ses semblables lui "donnent raison" de se trouver
bon, il est pourtant dans l'erreur. Il ne peut pas avoir raison, il
ne peut pas se juger sans se perdre, pas plus que juger les autres,
car, par cette action, il cède à son orgueil, et estime
nécessairement que, par son intelligence, il est au-dessus de
la condition humaine. Il se perd dans les puissances du "pour soi".
L'être humain ne peut que vivre, sans jamais tirer de conclusion
sur la valeur de sa vie, ou, tout au moins, sans se tenir à ses
conclusions. Il doit constamment choisir, mais ne peut jamais être
sûr d'avoir bien choisi, puisque, dès qu'il croit avoir
"bien fait", il s'enferme dans son orgueil, il ne peut jamais
se sentir bonne conscience.
|
Sécurité dans la force des autres,
faiblesses de sa vie
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Bérenger est le seul personnage de la pièce qui conserve
son humanité. Est-ce à dire qu'il échappe au tragique de la rhinocérite ? Ses affinités avec tous les principaux
personnages des pièces précédentes et donc avec
Ionesco lui-même permettent d'en douter. En réalité,
il semble que le sursaut d'énergie auquel il doit, à la
fin de la pièce, de rester homme, soit semblable à l'envol
d'Amédée dans le rêve, et que "le
Piéton de l'Air" éclaire "Rhinocéros",
comme "Tueur sans Gages" élucidait "Amédée
ou Comment s'en débarrasser".
De même que ses prédécesseurs, le héros a
la même capacité de rêver, lui faisant échapper
à la réalité rhinocérique au début
de la pièce, où il reste assis, sans se préoccuper
de l'animal qui fonce, tête baissée. Et il reconnaît
son indifférence, devant l'indignation de Jean :
"- Bérenger
: Eh oui, je rêve... la vie est un rêve."
(Id., p. 19).
|
Mais le retour à la
réalité est, pour lui aussi, très brutal. Il ressent
péniblement le poids de la vie ; les autres l'accablent aussi
bien que lui-même :
"- Bérenger
: La solitude me pèse. La société aussi."
(Id., p. 24).
|
Après sa dispute avec
son ami, il retrouve cette fatigue écrasante, à laquelle
il avait cru échapper par ses bonnes résolutions, mais
il fallait que Jean l'aide à les tenir. Il est aisé de
remarquer que la cause de sa fatigue est cette force qui le pousse à
dominer les autres et l'empêche de se dominer. Il souffre de son
agressivité :
"- Bérenger, seul : Je n'aurais pas dû, je
n'aurais pas dû me mettre en colère ! (Le
patron sort, un grand verre de cognac à la main).
J'ai le coeur trop gros pour aller au musée. Je cultiverai
mon esprit une autre fois. (Il prend le verre
de cognac, le boit)."
(Id., p. 43).
|
Cette tentative de solution
de l'accablement dans l'alcool se retrouve chez Ionesco :
L'auteur précise en
outre, dans "la Vase", qu'un
verre d'alcool lui permettait de ne plus sentir sa fatigue de vivre,
dans les premiers temps où elle s'est manifestée.
Pourtant, cette ivrognerie aussi lui pèse quand passe Daisy.
Il se sent coupable, face à elle, de sa déchéance
physique :
Cela ne l'empêchera
pas, dans le troisième acte, de succomber par deux fois à
la tentation d'un verre de cognac, en prétextant la contagion
à éviter. Et, lorsque Daisy lui demandera s'il n'en a
pas bu, il lui mentira :
"- Daisy
: Tu as été bien sage aujourd'hui ? Tu n'as
pas pris de cognac ?
- Bérenger : Oui, oui, j'ai été sage.
- Daisy : C'est bien vrai ?
- Bérenger : Ah ça oui, je t'assure.
- Daisy : Dois-je te croire ?
- Bérenger, un peu confus : Oh
oui, crois-moi, oui. (...)
- Daisy, après avoir versé un
petit verre à Bérenger, elle le lui tend : Tu es vraiment bien sage, tu fais des progrès.
- Bérenger : Avec toi, j'en ferai encore davantage."
(Id., p. 106).
|
Il attend de la dactylo qu'elle
soit sa force, c'est pourquoi il la place au-dessus de lui, mais c'est
précisément cette attitude qui fait sa faiblesse, car
il ne peut pas comprendre que cette femme qu'il place si haut soit frappée
par la rhinocérite :
"- Bérenger
: Mais tu es plus forte que moi. Tu ne vas pas te laisser
impressionner. C'est pour ta vaillance que je t'admire."
(Id.,
p. 112).
|
|
|
Une telle optique ouvre des horizons nouveaux sur la violence de sa
réaction face au phénomène rhinocérique.
Avant Daisy, Bérenger avait trouvé en Jean un être
dans le sillage duquel il s'était tenu jusqu'à la métamorphose
de ce dernier. Il attendait de lui son peigne, ses cravates, et le copiait
jusque dans l'arrangement de sa chambre :
"A
peu près la même plantation qu'au tableau précédent.
C'est la chambre de Bérenger qui ressemble étonnamment
à celle de Jean. Quelques détails seulement,
un ou deux meubles, indiquent qu'il s'agit d'une autre chambre."
(Id.,
p. 80).
|
Après sa dispute avec
cet ami, il ira s'humilier devant lui, ne pouvant pas admettre qu'il
ne vaille pas mieux que lui :
"-
Bérenger, à part : Au
fond, il a un coeur d'or, il m'a rendu d'innombrables services."
(Id.,
p. 80).
|
Et il ne pourra accepter
l'évidence de l'emprise du mal sur Jean, que lorsque celui-ci
lui foncera dessus. Il semble qu'il y ait désormais en Bérenger
le désir de se placer en dessous des personnes qu'il connaît
pour être le centre de leur intérêt.
Cela explique qu'il ne pardonne pas à son ami d'être devenu
rhinocéros et qu'il considère cela comme un outrage personnel
:
"-
Bérenger, à Dudard : Ce
garçon si humain, grand défenseur de l'humanisme
! Qui l'eût cru ! Lui, lui ! On se connaissait depuis...
depuis toujours... Jamais je ne me serais douté qu'il
aurait évolué de cette façon. J'étais
plus sûr de lui que de moi-même !... Me faire
ça à moi."
(Id.,
p. 83).
|
Et il développe contre
cette injure qu'est la rhinocérite une agressivité telle,
qu'elle finit par l'effrayer, car il y sent quelque chose de la bête
féroce :
"-
Bérenger, affolé : Vous
croyez que je suis hors de moi ? On dirait que je suis Jean.
Ah, non, non, je ne veux pas devenir comme Jean, je ne veux
pas lui ressembler. (Il se calme)"
(Id.,
p. 94).
|
Chaque fois qu'il croit pouvoir
défendre son point de vue, désormais humaniste, en la
personne d'un autre (que ce soit le logicien, Monsieur Papillon, Botard,
ou, finalement, Daisy) la même colère l'aveugle, en s'apercevant
de son erreur devant ce qui est pour lui une trahison :
"-
Bérenger : En revoilà ! (De la
fosse d'orchestre, sous la fenêtre, on voit émerger
un canotier transpercé par une corne de rhinocéros
qui, de gauche, disparaît très vite vers la droite).
Un canotier empalé sur la corne du rhinocéros
! Ah, c'est le canotier du Logicien ! Le canotier du Logicien
! Mille fois merde, le Logicien est devenu rhinocéros
!"
(Id.,
p. 96).
|
Bérenger se sentait
en sécurité dans l'humanisme des autres, quoiqu'il s'en
souciât fort peu quant à lui, allant jusqu'à dire
que c'était "une chose anormale que de vivre" (Rhinocéros,
p. 24). il vivait
de ces théories dont il se moquait, et se sentait à l'abri
de tout danger dans les attentions auxquelles elles contraignaient son
entourage à son égard. Comme pour Ionesco, son agressivité
se développait dans la sécurité, et cela jusqu'à
sa dernière chance de salut : quand il ne restait plus que Daisy
d'être humain avec lui dans la ville, il trouvait moyen de se
refermer encore sur ses remords et de vouloir l'obliger à ne
s'occuper que de lui, ainsi que le Vieux des "Chaises",
sa femme ; Mais Daisy n'est plus Sémiramis. Depuis Madeleine,
dans "Victimes du Devoir",
les personnages féminins ne sont plus dupes de ceux avec qui
ils partagent leur vie, et réagissent contre eux.
|
|
Toutes ces données
de la vie de Bérenger permettent de se demander s'il est vraiment
capable de rester homme et s'il ne va pas rejoindre, tôt ou tard,
le troupeau des animaux féroces, d'autant plus que, dans le monologue
final de la pièce, il définit logiquement sa position
:
"-
Bérenger : (Il s'adresse à toutes
les têtes de rhinocéros) : Je ne vous
suivrai pas, je ne vous comprends pas ! Je reste ce que je
suis. Je suis un être humain. Un être humain."
(Id.,
p. 113).
|
Comprendre qu'il ne comprend
pas et justifier ainsi son attitude, n'est-ce pas encore beaucoup trop
pour rester homme, puisque toute structure rationnelle conduit à
l'animalisation ? De même que Choubert (cf. "Victimes
du Devoir"), chez qui c'est le plus net, Bérenger s'est
placé en-dessous des autres pour être au-dessus, et il
est furieux de voir disparaître avec eux son illusion de domination.
Il faudrait reprendre des pages très intéressantes de Présent Passé Passé Présent
(pp. 67-68), où l'auteur finit par reconnaître que
"(son) esprit organise encore, bien que de façon
très simpliste." "Organise", c'est-à-dire
cherche à dominer sa condition et donc à l'écraser
à la manière d'un rhinocéros, mais c'est lui qu'il
écrase en réalité. Et, de fait, il semble que la
pièce se termine fort à propos pour Bérenger, car
lui aussi s'aperçoit de la beauté des rhinocéros
et de sa propre laideur, alors qu'il se révoltait lorsque Daisy
lui en parlait ; lui aussi les revêt de la séduction de
son désir de leur devenir semblable :
"-
Bérenger : Il se précipite de nouveau vers le
placard d'où il sort deux ou trois tableaux. Oui, je
me reconnais ; c'est moi, c'est moi ! (Il va
accrocher les tableaux sur le mur du fond, à côté
des têtes de rhinocéros). C'est moi, c'est
moi. (Lorsqu'il accroche les tableaux, on s'aperçoit
que ceux-ci représentent un vieillard, une grosse femme,
un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec
les têtes de rhinocéros qui sont devenues très
belles. Bérenger s'écarte pour contempler les
tableaux). Je ne suis pas beau, je ne suis pas beau. (Il décroche les tableaux, les jette
par terre avec fureur, il va vers la glace). Ce sont
eux qui sont beaux. J'ai eu tort ! Oh, comme je voudrais être
comme eux. Je n'ai pas de cornes, hélas ! Que c'est
laid un front plat. (...) (Il regarde les paumes
de ses mains). Mes mains sont moites. Deviendront-elles
rugueuses ?"
(Id.,
p. 116).
|
Cette constatation
de l'impossibilité de devenir rhinocéros ne satisfait-elle
pas le désir le plus profond du personnage, d'être, envers
et contre tout, supérieur à ses semblables, désir
dont il lui faut boire la coupe jusqu'à la lie, et qui lui devient
de plus en plus insupportable car il n'a plus de semblables ? Ne dit-il
pas :
"-
Bérenger : Malheur à celui qui veut conserver
son originalité "
(Id.,
p. 117).
|
? N'est-il pas contraint par l'amertume qu'il ressent dans la suprématie
qu'il a acquise (qui était le but secret de son agressivité
: valoir mieux que les autres, malgré son ivrognerie et sa saleté),
N'est-il pas contraint de briser cette illusion le séparant des
ténèbres qui la nourrissaient, et qui sont les ténèbres
de la condition humaine, et de plonger dans le flot rhinocérique
?
L'affirmation finale de sa volonté de rester homme n'est dûe,
en effet, qu'à un sursaut agressif bien semblable à celui
de son homonyme dans "Tueur sans
Gages", avant qu'il ne se livre à la mort :
"-
Bérenger : (Il a un brusque sursaut).
Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde
! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne
face au mur du fond où sont fixées les têtes
de rhinocéros, tout en criant) : Contre tout
le monde, je me défendrai, contre tout le monde, je
me défendrai ! Je suis le dernier Homme, je le resterai
jusqu'au bout ! Je ne capitule pas ! "
(Id.,
p. 117).
|
Dès lors, il semble
que le rideau tombe à temps pour laisser le spectateur dans l'illusion,
de même que le héros, et ce dénouement n'est pas
sans rappeler "Amédée
ou Comment s'en débarrasser".
|