SOMMAIRE MUSIQUE IONESCO
Résolution optimale : 1920 pixels x 1080 pixels



Alain Bouhey
contact



LE TRAGIQUE
CHEZ
EUGENE IONESCO
(Suite)


(Suite - rédigée de juillet à septembre 2005 - de la
Maîtrise de Lettres Modernes intitulée
"le Tragique chez Eugène Ionesco",
soutenue en Juin 1971,
à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Dijon, où elle est consultable
en B.U. Droit-Lettres sous les cotes 191513 et 191513 bis,
auteur : Alain BOUHEY, professeur : Monsieur François GERMAIN,
commentaire : "travail plus proche d'une thèse de IIIème cycle [sur 3 ans]
que d'un mémoire de maîtrise [sur 1 an]"

mention : Très Bien.)






"- Le Père : [...] Il n'y a rien mon enfant, tu n'as laissé aucun message, tu as bafouillé des balbutiements, des semblants de mots, tu te prenais peut-être pour un prophète, pour un témoin, pour l'analyste de la situation. Aucune situation n'apparaît claire, le vide."
(Voyages chez les morts, Ionesco, Gallimard, Théâtre complet, bibliothèque de la Pléiade, 2002, p. 1301).



"- Jean : Je m'étais imaginé un certain temps que j'avais mis quelque chose, il n'y a rien. Depuis quelque temps déjà, je me rendais compte que tout ceci n'avait été que de la paille, de la paille pourrie."
(Id.).
"- Le Père : Ne t'en fais pas, personne n'a réussi à ne rien faire, le monde n'est à personne, le monde est à Satan, si Dieu ne le lui arrache de ses mains, Il est le seul à pouvoir donner un sens à la création que Satan a salie et barbouillée, et cassée. Tout cela sera peut-être lavé et réparé et on y comprendra quelque chose."
(Id., p. 1301).





.
V.- AMOUR ET LUMIERE
APRES 1971




1.- TRAHISON DE SHAKESPEARE,
NOIRCEUR ET DERISION :


MACBETT






INTRODUCTION
Retour au menu






Au sein des ténèbres de "La Soif et la Faim", rédigée en 1964, Ionesco a mis en lumière, comme jamais jusqu'alors, l'amour de Marthe et Marie-Madeleine, au milieu d'une vision de jardin paradisiaque avec arbres en fleurs et échelle suspendue. Toutefois, Jean, le personnage le plus proche du dramaturge y est encore incapable de faire le pas qui le sauverait vers cet univers aussi lumineux que chaleureux, où l'attendent éternellement sa femme et sa fille. Il s'entête à vouloir le comprendre et donc le dominer intellectuellement, plutôt que de le vivre.

Ce pas, le Vieux de "Jeux de massacre", créée le 11 septembre 1970, le franchissait grâce à l'amour de sa femme, tache de lumière et hâvre de paix, contrastant fortement avec la violence de la pièce.

Devant la place grandissante accordée à la lumière et à l'amour dans le théâtre de Ionesco, la question qui se posa après 1971 fut de savoir si, dans ses dernières pièces : "Macbett" (1972), "Ce formidable bordel" (1973), "l'Homme aux valises" (1975), "Voyage chez les morts" (1980), le dramaturge confirmait ou non son entrée dans cet univers idyllique, solution du tragique de son oeuvre.







MACBETT & MACBETH
Retour au menu





"Macbett", créée le 27 janvier 1972, reprend le thème du "Macbeth" de Shakespeare avec une distribution resserrée. C'est la première pièce à annoncer la couleur des suivantes par une transformation de Ionesco, noircissant totalement la part de noblesse et de générosité préservée par son prédécesseur.

En effet, Duncan, noble et généreux roi d'Ecosse dans la tragédie anglaise, est dans la française, un archiduc très sanguinaire aux qualités nettement plus limitées : n'offre-t-il pas en une nuit à son épouse, l'exécution de ses cent trente sept mille ennemis vaincus ?
"- Duncan, d'une voix douce à lady Duncan : Ce discours est trop long : Madame, ne vous ennuyez-vous pas? Sans doute êtes-vous impatiente de voir la suite? Non, non, il n'y aura pas de torture, de la mise à mort seulement. Cela vous déçoit ? Je vous ai réservé une surprise, chérie. Le spectacle sera plus copieux que vous ne le pensez. (A tous :) Il est juste que les soldats qui ont servi Candor soient exécutés à sa suite. Ils ne sont pas très nombreux : cent-trente-sept-mille, ce n'est ni trop ni trop peu. (...)"
(
Macbett, Ionesco, Editions Gallimard, Théâtre complet, bibliothèque de la Pléiade, 2002, pp. 1060-1061).
Macbett et Banco (chez Ionesco), Macbeth et Banquo (chez Shakespeare) sont les deux généraux auxquels Duncan doit sa victoire sur les traîtres Glamiss et Candor (Ionesco), Glamis et Cawdor (Shakespeare). Macbett, poussé par son épouse, profitera, au soir de la victoire, de la confiance de Duncan, son hôte, pour l'assassiner et prendre sa couronne, en laissant échapper ses deux fils : Donalbain et Macol, ce dernier s'appelant Malcolm chez Shakespeare.

Le règne de Macbett-Macbeth sera tellement ignoble que le retour de Macol-Malcolm sur le trône usurpé sera attendu par tous comme une délivrance. C'est précisément là que Ionesco va faire dévier le dénouement shakespearien, en le noircissant de la manière la plus détestable.







MACOL & MALCOLM
Retour au menu







Il placera en effet dans le monologue de son Macol, une partie de la tirade de Malcolm à Macduff.

Ainsi, chez Shakespeare, Malcolm veut éprouver son partisan Macduff, noble d'Ecosse désirant le faire monter sur le trône de son père. Pour ce faire, il se présente comme le pire fléau que la terre puisse porter :
"- Malcolm : Mais, après tout, quand j'aurai écrasé ou mis au bout de mon épée la tête du tyran, ma pauvre patrie verra régner plus de vices qu'auparavant; elle souffrira plus et de plus de manières que jamais, sous celui qui lui succédera.
- Macduff : Quel sera donc celui-là ?
- Malcolm : Ce sera moi-même! Moi, en qui je sens tous les vices si bien greffés, que, quand ils s'épanouiront, le noir Macbeth semblera pur comme neige; et la pauvre Ecosse le tiendra pour un agneau en comparant ses actes à mes innombrables méfaits."
(Macbeth, Shakespeare, Editions Garnier-Flammarion, traduction de François-Victor Hugo, 1964, p. 299).

Devant la noble émotion suscitée en Macduff par ses propos, Malcolm comprend que ce dernier est sincère et ne vient pas à lui en traître, il se rétracte et se montre digne de son père :
"- Malcolm : (...) dès ce moment, je me remets à ta direction et je rétracte mes médisances contre moi-même ; j'abjure ici les noirceurs et les vices que je me suis imputés, comme étrangers à ma nature. Je suis encore inconnu à la femme ; je ne me suis jamais parjuré ; c'est à peine si j'ai convoité ce qui m'appartenait ; à aucune époque je n'ai violé ma foi, je ne livrerais pas en traître un démon à un autre ; j'aime la vérité non moins que la vie; mon premier mensonge, je viens de le faire contre moi-même. (...)"
(Id., p. 301).

Chez Ionesco, il n'en est rien. Macol ne revient aucunement sur l'horrible image qu'il donne de lui-même, si bien qu'à la fin de sa tirade, il ne reste plus personne autour de lui. Tous ceux qui l'entouraient ont disparu dans "des murmures de réprobation, de désespoir, de stupeur" (cf. p. 1112) et lui-même disparaît dans la brume.

Celle-ci, une fois dissipée, un chasseur de papillons traverse le plateau, dérision s'accordant avec la présentation que Macol a faite de ses premiers descendants : les Pieds Nickelés, et... Ionesco lui-même !

"- Macol : Je reprendrai le nom de Banco et je fonderai une dynastie nouvelle qui règnera pendant des siècles. La dynastie Banco. Je serai Banco II. Voici les premiers descendants qui me succèderont : Banco III (On voit apparaître les têtes des pieds Nickelés, successivement, d'abord Filochard), Banco IV (tête de Ribouldingue), Banco V (tête de Croquignol), Banco VI (tête de l'auteur de cette pièce, riant, la bouche grande ouverte)... et il y en aura des dizaines d'autres."
(
Macbett, Ionesco, Editions Gallimard, Théâtre complet, bibliothèque de la Pléiade, 2002, pp. 1109).









CONCLUSION
Retour au menu








"Macbett" donc, la première des quatre dernières oeuvres théâtrales de Ionesco, trahit le message shakespearien, noircissant délibérément l'âme humaine en la vidant de toute générosité. Elle montre que l'auteur lui-même se place, en se moquant du monde, au rang des pires tyrans. Plus rien donc, dans cette pièce, de la lumière qui s'était affermie dans les précédentes, jusqu'à "Jeux de massacre" (1970), éclairant leurs ténèbres. "Macbett" leur fait un remarquable pied de nez. Pourquoi un tel retournement? Se confirme-t-il par la suite ?

Résolution optimale 800 x 600 (image de fond à la taille de l'écran)


 
^