MICHEL ONFRAY
&
LA CIVILISATION JUDEO-CHRETIENNE
Dans « Décadence », qu’il publie chez Flammarion, Michel Onfray raconte la mort imminente de notre civilisation judéo-chrétienne. Il tient la démographie pour première responsable de ce déclin : « la démographie fait la loi, dit-il, et les milliards de chinois font que les quelques millions d’européens ne font pas le poids ». Toutefois, il ajoute que : « La guerre économique est perdue parce que, l’économie, c’est aussi le signe de la santé d’une civilisation. » Or, dans civilisation judéo-chrétienne, il y a christianisme, et le déclin de l’occident est lié, selon lui, au déclin du christianisme, d’autant plus qu’il considère Jésus comme une fiction fabriquée, d’abord, par les prophètes de l’Ancien Testament, fiction, qui n’a jamais existé réellement.
Commençons par là : Michel Onfray refuse donc toute possibilité de réalisation aux prophéties. C’est comme s’il disait que l’abolition monarchique de 1792 n’a pas existé, que c’est une fiction inventée par Nostradamus qui l’annonce plus de deux siècles plus tôt dans sa Lettre à Henry second ("mil sept cens nonante deus que l'on cuydera estre une renovation de siècle"), ou que, de même, la renaissance du Parlement de Bretagne, en 1999, n’a jamais eu lieu, que c’est un concept de ce prophète, qui a prédit, au moment de sa construction, dans son quatrain X, 72, la résurrection de ce symbole du pouvoir royal (ce qui n’avait rien à voir avec la fin du monde !)
Mais, allons plus loin : à Serge July, qui lui demande pourquoi la civilisation judéo-chrétienne devrait mourir maintenant, le philosophe répond sans autre forme de procès : « c’est quelque chose qui me paraît évident », ce qui est vraiment très court. A Serge July, encore, qui a cru comprendre que son choix pour l’avenir était entre le transhumanisme de la Silicon Valley et l’islamisme de Racca, il répond qu’il est très difficile de dire « il va se passer ceci » et qu’il n’est pas dans une logique de prédiction. Il prédit tout de même que c’est « la fin des civilisations locales », car de Mai 68, moment de déconstruction nécessaire de la hiérarchie (pourquoi ne pas dire « destruction » ?) n’a surgi aucune valeur nouvelle, et qu’il y aura « une civilisation planétaire, construite sur une autre spiritualité dont on n’a pas idée. » De tout cela, il faut retenir l’idée d’une destruction créatrice de valeur nouvelle, de civilisation planétaire, d’autre spiritualité (que la judéo-chrétienne) et se demander, si, contrairement à ce que dit Michel Onfray, on ne peut pas avoir, maintenant, d’autre idée que le surhumanisme transhumaniste ou l’islamisme de Racca.
La réponse est : « si ! ». Elle est donnée par la musique. C’est une spiritualité planétaire, où, à la différence de celle de Mai 68, la destruction est porteuse d’une valeur nouvelle car elle fait correspondre les domaines laïques
aux domaines religieux du judéo-christiano / islam et de la trimurti indoue (Brahma, le Compositeur – Vishnu, le Parfait Interprète / Shiva, le destructeur-transformateur).
Dans cette configuration-là, la civilisation judéo-chrétienne ne doit pas disparaître, elle doit être complétée par la civilisation islamique, en reconnaissant (enfin !) qu’elle lui est complémentaire, pour donner la civilisation judéo-christiano / islamique, s’inscrivant dans un tout laïco-religieux, qui pourrait avoir pour nom, celui de civilisation « scriptorale », car fondée sur le rapport des formes d’esprit de composition–interprétation et de destruction-transformation improvisatrice respectueuse, où la musique serait le terrain d’expérimentation de ce rapport de formes d’esprit. Cette valeur nouvelle, la destruction-transformation improvisatrice respectueuse, est véhiculée par l’islam depuis le VIIème siècle, mais ne peut être reconnue que maintenant, grâce aux prestations radicales de certains improvisateurs de jazz contemporain, qui permettent, à terme, d’inverser la pyramide du pouvoir créateur, comme le montrent des créations récentes. En fait, l’improvisateur qui détruit et transforme respectueusement Bach, ne touche en rien à Bach, ce qu’il détruit et transforme, c’est l’idée qu’il s’en fait, ce qui peut être assimilé au vrai Djihad, par lequel le vrai djihadiste lapide, non pas la femme adultère, mais son propre désir de lapidation, mutile et décapite, non pas autrui, mais son propre désir de le mutiler, de le décapiter. Ce faisant, il se découvre lui-même, renaît à lui-même. C’est pourquoi, qualifier de djihadistes les terroristes, comme le fait David Revault d’Allones, insulte ce combat contre les pires des pulsions égocentriques que peut être le djihad, c’est faire le jeu des terroristes, comme ne pas reconnaître la valeur de la destruction-transformation respectueuse, c’est ouvrir la boîte de Pandore des destructions-transformations irrespectueuses, celles des terroristes, qui s’attaquent de la pire manière à la vie d’autrui au lieu de s’attaquer à eux-mêmes.
Dans l’islam, la destruction-transformation respectueuse est particulièrement évidente dans la façon dont le Coran se situe par rapport à la Bible et aux Evangiles sur le point crucial des Pâques juive et chrétienne : Pour le Coran, Moïse n’a pas amené les hébreux en Terre Promise et Jésus n’est pas ressuscité (DESTRUCTION), Moïse a renvoyé les hébreux en Egypte et Jésus a été remplacé sur la croix (TRANSFORMATION). Toutefois, pour le Coran, la Bible hébraïque et les Evangiles chrétiens, doivent être placés sur le même plan que le Coran, bien que ce dernier les contredise (RESPECT). Ces contradictions sont si peu évidentes, que Mohammed ARKOUN, lui-même, rédacteur de la préface du Coran aux Editions Flammarion, en 1970, les signalant, décide, p. 45, de ne plus relever les suivantes, déclarant que Muhammad « refait à son gré l’histoire du Peuple de Dieu ». Or, ce sont précisément ces contradictions qui font toute la modernité de la spiritualité islamique et tout son intérêt pour la composition-interprétation laïque et judéo-chrétienne qui fonctionne en élévation, car, par descente-remontée, elle leur apporte l’ouverture.