IV.- ALLAH, MUHAMMAD, ISLAM,
NI CHARLIE, NI ASSASSINS
Aux victimes de Charlie Hebdo, Montrouge et Vincennes, à leurs familles,
et à la Marche républicaine
du 11 janvier 2015 |
Nous sommes le mercredi, 14 janvier 2015, "Charlie Hebdo" était en rupture de stock, vers 10h00, ce matin, et son tirage va être porté de trois à cinq millions d'exemplaires (il s'écoulera finalement à huit millions d'exemplaires). Après la mobilisation record de la participation à la Marche républicaine du 11 janvier (plus de quatre millions de personnes en France), c'est donc maintenant la vente de cet hebdomadaire, qui bat des records, avec, à la une, la caricature de Luz, où, sous la mention "TOUT EST PARDONNE", le prophète verse une larme en tenant l'écriteau principal de la manifestation occidentale : "JE SUIS CHARLIE".
Question : l'idée que je me fais d'Allah et de Son prophète est-elle compatible avec cette vision d'un Muhammad-Charlie, susceptible (pourquoi pas, dans cette optique caricaturale ?) d'avoir participé à la marche républicaine du 11 janvier ?
Ni Charlie :
Comme je le montre dans ma lettre ouverte à Frédéric Lenoir sur "Dieu", il existe une correspondance entre les trois formes d'esprit de la création humaine : composition-interprétation / improvisation et les trois divinités (YHWH - Jésus-Christ /Allah) de nos monothéismes. Elles agissent (comme les divinités de la trimourti hindoue) en quatre temps :
composition-interprétation / destruction-transformation respectueuse,
Allah y est le Dieu Régénérateur (« Le langage coranique (...) est spontané : c'est un jaillissement continu de certitudes qui ne s'appuient pas sur une démonstration, mais sur une profonde adéquation aux éléments permanents de la sensibilité humaine. » - Mohammed Arkoun, Coran, 4ème trimestre 1970, Éditions Flammarion -). qui apporte une contradiction libératrice détruisant et transformant les Pâques juive et chrétienne. Selon le Coran, en effet :
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Les hébreux ne sont jamais arrivés en Terre promise, puisque Moïse les a renvoyés en Egypte : « Lorsque vous avez dit : "O Moïse ! nous ne pouvons supporter une seule et même nourriture ; prie ton Seigneur qu'il fasse pousser pour nous ces produits de la terre, des légumes, des concombres, des lentilles, de l'ail et des oignons; " Moïse vous répondit : "Voulez-vous échanger ce qui est bon contre ce qui est mauvais ? Eh bien rentrez en Égypte, vous y trouverez ce que vous demandez." Et l'avilissement et la pauvreté s'étendirent sur eux, et ils s'attirèrent la colère de Dieu, parce qu'ils ne croyaient pas à ses signes et tuaient injustement leurs prophètes. Voilà quelle fut la rétribution de leur révolte et de leurs méchancetés. » (Coran, II, 58, Éditions Flammarion) ;
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Jésus n'a pas pu ressusciter puisqu'il a été remplacé sur la croix
: « Ils disent : "Nous avons mis à mort le Messie, Jésus fils de Marie, l'apôtre de Dieu." Non, ils ne l'ont point tué, ils ne l'ont point crucifié, un autre individu qui lui ressemblait lui fut substitué, et ceux qui disputaient à son sujet ont été eux-mêmes dans le doute (...) » (Coran, IV, 156, Éditions Flammarion).
Ces contradictions entre Allah, d'un côté, et YHWH et le Christ, de l'autre, sur des points aussi fondamentaux que les Pâques ne sont pas les seules. Mohammed Arkoun, rédacteur de la préface du Coran des Editions Flammarion, ne dit-il pas : « On voit par cette version sur le retour des Israélites en Egypte que Muhammad refait à son gré l'histoire du Peuple de Dieu. Nous nous dispenserons, à l'avenir, de relever les discordances du Coran avec les livres de l'Ecriture. » ( Mohammed Arkoun, Coran, p.45, 4ème trimestre 1970, Éditions Flammarion) ? Mais, se dispenser "de relever les discordances du Coran avec les livres de l'Ecriture", voilà, qui , à mon sens est une erreur majeure, chez un commentateur qui, de plus, a noté que "Le langage coranique (...) est spontané (...) jaillissement continu de certitudes qui ne s'appuient pas sur une démonstration". C'est ne pas avoir compris que la Vérité d'Allah, c'est la Contradiction, la Destruction-Transformation, dont toute la valeur tient au fait qu'elle est RES-PEC-TUEUSE :
« Dis aux hommes des Écritures : "Vous ne vous appuierez sur rien de solide tant que vous n'observerez pas le Pentateuque, l'Évangile et ce que Dieu a fait descendre d'en haut. Le Livre que tu as reçu du ciel, ô Muhammad !" (...) » (Coran, V, 72, Éditions Flammarion) ;
ou encore :
« "Dites : Nous croyons en Dieu et à ce qui a été envoyé d'en haut à nous, à Abraham et à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux douze tribus, aux livres qui ont été donnés à Moïse et à Jésus, aux livres accordés aux prophètes par le Seigneur, nous ne mettons point de différence entre eux et nous sommes résignés à la volonté de Dieu." » (Coran, II, 130, Éditions Flammarion).
Allah ne remplace pas une vérité par une autre, ne supprime pas l'existence des "livres accordés aux prophètes par le Seigneur" qui l'ont précédé. Il ne met "point de différence entre eux", c'est-à dire qu'il remplace une existence par une co-existence. Et cela, nous pouvons très facilement le comprendre avec l'exemple de l'improvisation musicale. Celle-ci peut aller dans le sens de l'écriture des compositeurs (on improvise du Bach), mais, et c'est là où elle est le plus novatrice, l'improvisation peut contrer l'écriture, se projeter dans une autre direction, libérer de nouvelles sources d'inspiration. Et là, elle existe à côté de... elle co-existe, ce qui enrichit la création.
Par conséquent, YHWH ayant promis, a minima, la Palestine aux hébreux, et Allah les ayant renvoyés en esclavage en Egypte, la situation de blocage qui paraissait exclure les musulmans de la Terre promise est débloquée et amène à la co-existence, en ces lieux, des deux peuples, comme des deux paroles divines entre lesquelles Allah ne met "point de différence".
De même, les chrétiens croient en la Résurrection et l'Ascension de Jésus, sur la parole des apôtres. Les juifs, qui n'ont pas eu la possibilité, comme l'apôtre Thomas, de voir et de toucher les plaies du Christ ressuscité, n'y croient pas. Que dit Allah ? Jésus (qui, selon Lui, n'est pas Dieu, mais qui est néanmoins Son Verbe, qu'Il jeta en Marie) n'a pas pu ressusciter puisqu'il a été remplacé sur la croix, Dieu ne pouvant pas accepter que son Verbe soit crucifié. Cette Parole d'Allah, co-existant avec celle de l'Evangile ("ressuscité") et la foi des juifs ("non ressuscité") supprime le blocage entre juifs et chrétiens avec la transformation du remplacement, qui laisse la place aux trois fois : rien n'empêche, en effet les musulmans de penser, que si Jésus avait été crucifié, il serait ressuscité (comme le croient les chrétiens) ou non (comme le croient les juifs), ce qui dégage la voie à d'autres, pour penser que, quoiqu'il en soit, cette résurrection du verbe divin fixé sur la croix a, a minima, une très forte valeur symbolique intéressant l'humanité entière, croyante ou non, que Jésus soit ou non ressuscité physiquement.
Revenant de cette excursion dans les textes sacrés, pas très catholique vis à vis du principe de laïcité républicaine, pour nous retrouver face à la caricature de Luz, faisant de Muhammad un repenti (la larme ?), à qui "TOUT EST PARDONNE" parce qu'il se dit "ETRE CHARLIE", et un repenti qui emboîte le pas à des millions de personnes, alors que, par nature, il s'oppose, contredit, détruit et transforme respectueusement, pour libérer la voie et permettre à l'humanité d'aller là où elle ne sait encore pas qu'elle ira. Tout cela me paraît vouloir en faire un BENI-OUI-OUI qui n'a rien à voir avec sa nature profonde, qui ne la respecte pas et qui ne peut que choquer la majorité des musulmans, comme elle choque le chrétien ouvert que je suis. Elle me choque, non pas parce qu'elle est irrévérencieuse, mais parce qu'elle est fausse, et que je ne parviens pas à la justifier, comme j'aurais souhaité pouvoir le faire, en mémoire de la barbarie dont fut victime ce journal et de la magnifique marche qu'elle occasionna. Marche magnifique, dont on dit qu'elle aura un avant et un après, un après qui mérite un sérieux virage, à mon sens, si cette caricature en est l'amorce, un après, où le RIRE, au lieu d'être un moyen de réduction d'autrui à soi-même, sera SOURCE DE CO-NAISSANCE AVEC LUI.
Ceci dit, cher Luz, il me vient une lecture de votre caricature, tout à fait acceptable, me semble-t-il, pour un bon musulman. Je vous la donne : Muhammad, blessé d'être incompris (comme en témoigne l'écriteau que vous lui faites porter) et d'être pris pour un assassin, pleure et PARDONNE TOUT.
Une nuit ayant passé, je vous propose même une lecture au troisième degré de votre caricature : Muhammad est Le contradicteur. Votre dessin, lu au premier degré, contredit sa nature profonde. Il exprime donc cette contradiction. On peut alors dire (mais il faut atteindre ce troisième degré), que Charlie est contradicteur comme Muhammad, et donc que
"CHARLIE EST MUHAMMAD" co-existe avec "MUHAMMAD EST CHARLIE".
Dans ces deux derniers cas, et seulement là ! on peut dire :
"Vive Charlie Hebdo !"
Ni assassins :
Etant Destructeurs-Transformateurs respectueux, Allah et Muhammad, son Prophète, sont de vrais jihadistes, dans toute la noblesse du terme, c'est-à-dire, qu'au lieu de s'en prendre à des originaux humains, culturels ou autres, ils s'en prennent à des copies, à l'idée qu'ils s'en font. A la limite à eux-mêmes, ce qui est le vrai jihad : le combat contre soi-même.
Ils diffèrent en cela des faux jihadistes : les assassins qu'on vient de voir à l'oeuvre et qui abusent notre jeunesse. Ce sont des destructeurs-transformateurs totalement irrespectueux de l'humanité et de sa culture, qui ne laissent derrière eux que panique et désarroi.
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Pour terminer, je souhaite qu'il y ait un après véritablement positif à la Marche républicaine du 11 janvier, un après, où notre république sorte de sa frilosité spirituelle, cantonnée aux barrières étriquées de son principe de laïcité, où croyants et incroyants, Allah, Muhammad, l'islam et les autres, qui ne sont ni Charlie, ni des assassins,
MAIS QUI SONT EUX-MEMES,
trouvent leur place véritable.
CULTURELLEMENT, QUE DOIT COMMENCER PAR FAIRE, SELON MOI,
L'APRES 11 JANVIER ?
L'après 11 janvier doit commencer par comprendre, et faire comprendre à tous, deux points fondamentaux :
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L'islam est destructeur-transformateur respectueux. Il ne fait aucune différence entre les livres sacrés qui l'ont précédé et le sien.
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La destruction-transformation peut être :
- excellente et être un élément indispensable de l'évolution créatrice, si elle est respectueuse de l'humanité et de ses cultures : c'est le vrai jihad,
- détestable et s'opposer à l'évolution créatrice, si elle est irrespectueuse de l'humanité et de ses cultures : c'est le faux jihad.
En conséquence, l'après 11 janvier doit, non pas fuir, comme Mohammed Arkoun, "les discordances du Coran avec les livres de l'Ecriture", mais, au contraire, les mettre en évidence, et montrer comment la co-existence d'éléments contraires est un enrichissement, par rapport à ce qui existait auparavant.
Il doit aussi montrer la correspondance entre les mondes religieux et laïque. Dans ce dernier, l'improvisation jazzistique, quelques treize siècles après le Prophète d'Allah (quelle avance Muhammad !), permet de comprendre qu'on peut détruire et transformer une composition existante, sans, pour autant, la supprimer, mais, au contraire, en co-existant avec elle. C'est ce qui se passe dans les quatre vidéos suivantes : chacun des quatre mouvements de la Partita BWV 1013 de Bach y est d'abord fidèlement interprété, puis détruit et transformé, de façon méconnaissable, par un improvisateur-compositeur et enfin recomposé par un compositeur, à partir de l'écriture initiale conservée.
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Comment, plus précisément, relier laïcité et religions ?
(A suivre...)
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