Ceci nous amène directement à ce qui pourrait bien être l’origine des violences que traverse notre nation avec les manifestations des gilets jaunes. En effet, le vivre ensemble ne peut s’épanouir que dans le respect mutuel des uns et des autres. Or, la destruction-transformation improvisatrice est une création contradictoire, qui contredit la composition-interprétation dont elle part, et qui se contredit elle-même, car elle est La Contradiction, ce que ne supporte pas le conservatisme de la composition-interprétation. Et pourtant, son opposante la respecte, en ce sens qu’un improvisateur détruisant et transformant, par exemple, une œuvre de Mozart, ne supprime pas l’existence de cette œuvre, il se place face à elle pour s’y opposer frontalement, et son improvisation, loin d’appauvrir la création, l’enrichit, la complète. Car ce qu’il détruit et transforme, ce n’est pas l’œuvre dont il part, mais l’idée qu’il s’en fait, c’est, à la limite, lui-même. C’est même, d’une certaine manière, sa façon de développer la connaissance, en montrant, à travers la multiplicité des improvisations, tout ce que cette œuvre n’est, ou ne peut pas être. Mais, les compositeurs-interprètes ne voient pas si loin et ils se scandalisent.
J’eus l’occasion de me rendre compte, à deux reprises, du scandale suscité par la notion de destruction-transformation créatrice :
- la première, c’est lorsque Yochk’o Seffer commença de faire circuler cette idée, peintures de l’exposition « Chromophonie Scriptorale » à l’appui. La réaction fut telle qu’il me demanda de remplacer « destruction » par « déconstruction », ce que je refusai, au vu du tableau, représentant le carnage du monstre improvisateur dévorant (intérieurement !...) le corps d’une magnifique sirène ;
- la seconde, ce fut de voir la réaction horrifiée d’un musicien interprète, de musique pourtant contemporaine autant que de renommée internationale, devant l’improvisation radicale de Yochk’o Seffer, sur l’Allemande de la Partita BWV 1013 de Bach, pourtant musicalement beaucoup plus forte que bien des « saucissons », nom donné à des compositions sans inspiration.
Cela se passait dans les années 90, en temps de paix relative, entre les compositeurs-interprètes et les improvisateurs, alors que ces derniers commençaient à respecter les premiers, en reconnaissant la valeur de leurs œuvres. Mais cela signifiait que la forme d’esprit destructrice-transformatrice d’ouverture horizontale des improvisateurs ne serait jamais reconnue à l’égal de celle d’élévation verticale des compositeurs-interprètes, par ces derniers, tant qu’elle respecterait leur existence et leur capacité créatrice. Voilà pourquoi, Monsieur le Président, une grande partie des gilets jaunes n’est pas concernée par votre lettre, si intéressante soit-elle, pour quelqu’un partageant votre forme d’esprit, ou, tout au moins, la comprenant. Voilà, sans doute, en partie pourquoi ces gilets jaunes s’en prennent aux symboles de la Vème République, fondée par un homme d’élévation, qui pensa, un temps, faire monter le Comte de Paris sur le trône de France rétabli, comme vous-même avez pensé que les Français attendaient de vous la réoccupation de la place de Louis XVI.
Les temps ont changé, Monsieur le Président. Pour donner de l’ouverture improvisatrice, à la verticalité compositrice gaulliste de la Vème République, il y eut, en premier lieu, Mai 68, qui eut dû vous mettre la puce à l’oreille, puis l’accession au poste suprême, de François Mitterrand, que Charles de Gaulle ne qualifiait pas de clochard, mais « d’arsouille » ! au sens de « un peu voyou ou canaille, pas franc ni très honnête. » (Foccart Parle", Foccart, tome 1, Editions Fayard.) Ceci illustre bien le mépris des auteurs-compositeurs-interprètes pour les improvisateurs. En effet, l’action politique de François Mitterrand sera bien considérée comme celle d'un improvisateur. Le maître-mot sera discrètement mentionné par Catherine Pégard ("L'Enigme Mitterrand") sans qu'elle paraisse d'ailleurs, elle aussi, l'apprécier à sa juste valeur : « Mitterrand toujours marquera la permanence du temps mais ne cessera d'improviser pour s'adapter à ses mouvements. »
En fait, Il est, au moins, une grosse erreur dans votre Lettre aux Français : celle de « n’accepter aucune forme de violence », sous peine, dites-vous, que la société ne se « défasse ». Car la destruction-transformation respectueuse est violente intérieurement, puisqu’elle s’attaque à l’idée que se fait l’improvisateur de l’œuvre du compositeur, non à cette œuvre elle-même, et, si elle équilibre la composition-interprétation, la société « se fait » amoureusement à travers leur relation. A l’inverse, la destruction-transformation irrespectueuse est violente extérieurement, s’en prend à l’existence même de ses opposants et de leurs œuvres (voir les gilets jaunes et le patrimoine de la France) et, à travers leur relation, la société se « défait » haineusement.
Au sujet du vivre ensemble, La première « idée claire » pour répondre à la « grande inquiétude » et au « grand trouble » européen dont vous parlez, Monsieur le Président, n’est pas le refus de la violence, mais la distinction des deux formes de violences : bonne, quand elle combat intérieurement les prétentions de l’égo, mauvaise, quand elle s’attaque de prime abord, sans discernement, extérieurement à autrui. A ce titre, il est actuellement un grand exemple de cette violence méprisante de la richesse culturelle islamique : c’est celui de qualifier de « djihadistes » les terroristes islamistes, car c’est ignorer qu’il existe deux sortes de djihad : le djihad mineur, ou petit djihad, qui lutte précisément contre autrui, et le djihad majeur du cœur, ou grand djihad, le plus difficile, qui est un combat spirituel contre soi-même. Tout au moins, devrait-on nommer ces terroristes islamistes, des djihadistes mineurs, ce qui aurait l’avantage d’inciter les curieux à se renseigner sur les djihadistes majeurs.
RETOUR AU MENU
|