SOMMAIRE MUSIQUE SAXOPHONE
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MICHEL NOUAUX,
UN "SEIGNEUR" DE LA MUSIQUE,

nous a quittés
le samedi 3 février 2018,
il était né le 12/10/1924




Cher Michel,

Après Jacques (Melzer), dès 2006, Guy (Lacour), en 2013, Roland (Audefroy), ce 20 janvier 2018, et vous, qui le suivez à quelques jours, le 3 février (nous sommes le 8), c'est toute la vieille garde de l'ESF qui quitte la partie.
Voyant avec quelle concision et quelle rigueur toutes militaires vous résumez votre carrière saxophonistique, dans l'interview que vous avez accordée à Laurent Matheron, pour l'Asax, mais n'oubliant ni ces Ferling lentes où vous me montriez comment me "balader", ni surtout ce sommet artistique que vous avez atteint, à Londres, dans "Magheia", je me rappelle cette phrase de Paul Valéry : "la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur", c'est pourquoi, dans cet hommage que je vous rends, en toute reconnaissance pour les conseils que vous m'avez si généreusement prodigués, après un rappel de votre personnalité officielle (celle de l'interview), je vais essayer d'approcher le "GRAND ARTISTE", salué comme tel, à Londres, par Marcel Mule et Daniel Deffayet.




I
MICHEL NOUAUX

SOLISTE DANS L'ORCHESTRE
par Laurent MATHERON




1.- Le Concours International d'Exécution Musicale (CIEM) de Genève



Unique ! 1er Prix du Concours de Genève en saxophone, soliste à la Garde Républicaine, parmi les premiers élèves au CNSM de la nouvelle classe de Marcel Mule, Michel Nouaux a été une voix singulière du saxophone.

A ce jour, vous restez le seul saxophoniste lauréat d’un Premier Prix au CIEM de Genève. Comment avez-vous vécu cette expérience et son « après » ?
Ce fut un concours stressant. Deux éliminatoires et une finale devaient départager dix-sept candidats. Il y avait au programme l’Impromptu de Vuataz, Eglogue et Danse pastorale de R. Corniot, le Concerto d’H. Tomasi et le Concertino da Camera de J. Ibert. Cela demandait de grandes ressources. Nous n’avions qu’une répétition de vingt minutes avec l’orchestre pour la finale…Finale qui fut un grand moment, devant un public averti. Une carrière prometteuse m’attendait mais devant la pauvreté du répertoire, j’ai préféré poursuivre mon activité à la Garde.
Après Genève, un contrat pour plusieurs concerts en Amérique m’obligea à demander l’autorisation du chef de la Garde : refus.
Marcel Mule me demanda de faire partie de son quatuor : second refus.
Je me résignai donc à décliner tout nouveau contrat comme concertiste.

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2.- Les influences




Comment aviez-vous découvert le saxophone ?
Un peu par hasard. Agé de six ans, j’ai reçu, comme cadeau de Noël, un saxophone.  A dix ans, je suis rentré au conservatoire d’Arras. Apres l’obtention d’un premier prix, j’ai poursuivi mes études à Lille et au Conservatoire de Paris dans la toute nouvelle classe de Marcel Mule.

Mais c’est à Arras que j’ai eu la chance d’assister à un récital de Pierre Fournier, au violoncelle. Ce concert m’a fortement influencé ; j’ai cherché à avoir les mêmes qualités expressives au saxophone, et plus tard, à la Garde, j’ai été comblé : le violoncelle était remplacé par le saxophone, les transcriptions étant faites dans ce sens.

Par la suite, en remplaçant Fernand Lhomme à la société des concerts, j’ai dû réviser ma conception d’interprétation. Les compositeurs, intégrant le saxophone parmi les bois, exigeaient sobriété, discipline, osmose, rôle plus effacé, contrôle du son et du vibrato. J’ai donc assumé, pendant ma carrière musicale, deux postes bien différents : lyrisme dans l’un, discipline dans l’autre.

Fernand Lhomme, à qui vous succèdiez, a-t-il eu une influence sur votre jeu ?
Il fut un modèle, pour moi, sur le plan de la sonorité.

D’autres saxophonistes de jazz vous ont-ils marqué ?
J’appréciais beaucoup Paul Desmond, le son, la justesse et le style… ainsi qu’Alix Combelle.

Que vous a apporté la pratique du jazz avec Alix Combelle ?
Avec Alix Combelle, une autre école m’attendait, celle du rythme, du swing, de la décontraction. Enrichissements dans les contacts.

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3.- La Garde Républicaine, son Quatuor et Magheia



En 1947, vous rentrez à l’Orchestre d’Harmonie de la Garde Républicaine…
Le pupitre comprenait 3 altos, 2 ténors et 2 barytons, mais c’est surtout avec le quatuor que Marcel Mule avait créé  que nous nous sommes produits en récital. Avec André Beun, Bernard Beaufreton et Maurice Delabre, nous avons participé à tous les Congrès Mondiaux. A Londres, nous avons créé Magheïa de Lucie Robert, qui a été un grand succès.

 



Bernard Beaufreton (ténor), Gilbert Delabre (baryton), André Beun (alto), Michel Nouaux (soprano)

Avec ce Quatuor, vous avez aussi enregistré deux disques AFA 20772 et 20893, dont on peut trouver sur internet les Danses païennes de Patrice Sciortino et les Quatuors de Maurice Bagot et Alfred Desenclos, mais l'enregistrement de la copie numérique est tellement saturé, qu'il défigure ces pièces : il faudrait vraiment que les responsables remplacent ces mauvaises copies par de bonnes.

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4.- L'ESF, Ensemble de Saxophones Français



En haut : Jacques Melzer, Guy Lacour, Roland Audefroy, Jean-Marie Londeix
En bas : Michel Nouaux, Guy Lacour, Gilbert Viatgé/Alain Bouhey, Roland Audefroy.

Vous avez participé également à l’Ensemble de Saxophone Français.
Nous voulions un ensemble modulable qui pourrait passer du duo à une formation plus large, et ne pas rester prisonnier du quatuor. Là aussi, nous avons participé aux congrès de Nuremberg et de Chicago. Créé en 1972 par Roland Audefroy, Guy Lacour, Jean-Marie Londeix, et Jacques Melzer, l’ensemble a continué ensuite avec Roland Audefroy, Guy Lacour, une alternance Alain Bouhey / Gilbert Viatgé et moi-même.

 

5.- Le conseiller technique

 


Conseiller technique chez Selmer, vous avez participé à l’élaboration de plusieurs saxophones.
Je fus, d’abord, conseiller technique chez Couesnon en 1950. Leurs saxophones avaient une rondeur de son exceptionnelle mais des problèmes de justesse insurmontables. Deux ans de contrat me lièrent avec Yamaha pour améliorer leur prototype.
J’ai travaillé ensuite pour Selmer. Avec Jean Selmer nous voulions améliorer la justesse et la qualité sonore du Mark 6 en créant un nouveau bocal et une culasse plus ample. Nous avons également changé le clétage et ajouté une clé de suraigu, pour que la tessiture passe à trois octaves et une quinte. En 1981 le mark 7 a laissé la place au Super Action.

Vous êtes à l’origine des becs S80 qui ont pour particularité d’avoir une chambre carrée. Comment sont-ils nés ?
A la présentation du S80 par le bureau d’études Selmer, j’ai adopté le bec S70. La perce carrée apportait (dixit Jean Selmer) une amélioration du son. J’ai utilisé ce bec pour la création de Cadenza de Lucie Robert au congrès mondial de Bordeaux, en 1974.

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6.- Le Maître

 


L’enseignement a été une autre de vos activités. Que souhaitiez-vous transmettre ?
Je souhaitais, bien sûr, inculquer aux élèves le goût et l’envie de jouer en s’inspirant des instruments de l’orchestre et de la voix. Je les encourageais à jouer constamment et j’étais intransigeant sur l’embouchure et la position digitale.  J’ai successivement enseigné dans les E.N.M. de Montreuil, Bobigny et Créteil, et, en parallèle, dans les conservatoires municipaux des 16ème  et 18ème arrondissements de Paris, ainsi que dans ceux de Levallois et de Bagnolet. J’ai moi-même progressé avec certains élèves ayant des qualités naturelles. Plusieurs enseignent dans des CRD ou CRR, Daniel Gremelle a remporté de nombreux concours, Jean-Pierre Baraglioli est soliste à la Garde.

Signalons, ici, votre interprétation de la Cadenza de Lucie Robert (au piano) au Congrès de Bordeaux, interprétation que le compositeur juge de référence.

 

1924 : Votre naissance.
1930 : Vous recevez un saxophone comme cadeau de Noël.
1934 : Vous entrez à l’Ecole de Musique d’Arras.
1937 : 1er Prix à l’unanimité de l’Ecole de Musique d’Arras.
1943 : 1er Prix à l’unanimité du Conservatoire national de Lille.
1944 : 1er Prix au Conservatoire National Supérieur  de Paris, dans la toute nouvelle classe de Marcel Mule.
1947 : Reçu a l’Orchestre d’Harmonie de la Garde Républicaine.
1948 : Second soliste alto (Garde Républicaine) à côté de Fernand Lhomme.
1952 : 1er Prix à l’unanimité au Concours International de Genève.
1963 : Saxophone Alto Solo (Garde Républicaine).

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II
LE "GRAND ARTISTE"





C'est donc votre magnifique interprétation de "Magheia" de Lucie Robert, pour quatuor de saxophones et piano, au Congrès de Londres, qui vous valut, au sommet de votre art, d'être salué comme un grand artiste, par Marcel Mule et Daniel Deffayet. Il me valut, personnellement, de vous placer au rang de ces "seigneurs" de la musique (les Pierre Fournier) dont je vous entendis un jour parler, comme si vous étiez en pays de connaissance.

En pays de connaissance, vous l'étiez en effet, grâce à un don inné, dont vous m'avez aussi parlé : celui de reproduire ce que vous entendiez chez les autres : vous n'avez pas employé le mot "reproduire", mais le mot "singer", mot d'autant plus intéressant que vous qualifiez de "virus", cette recherche passionnée de toute une vie centrée sur l'embouchure et le toucher, qui évoque en moi un Bernard Palissy de la musique, embouchure et toucher dont la distinction m'a toujours subjugué.

Mais revenons au singe et au virus : il est bien connu que les deux sont liés par une maladie terrible, alors que, dans votre cas, il s'agissait d'un virus du beau et de la bonne santé insolente, qui vous a poursuivi jusqu'à votre 93ème année : en janvier 2017, vous débordiez encore d'enthousiasme pour ce que vous faisiez, jusqu'à ce que vous trébuchiez sur le cancer, qui vient de vous emporter. Que s'est-il passé ?... Un moment de doute ?... Je vous en ai connu un au quatuor, où vous nous avez dit, que vous ne compreniez pas... que nos systèmes de jeu étaient beaucoup plus réguliers que le vôtre. Peut-être nous évitaient-ils vos abîmes, encore que... En tous cas, ils ne nous menaient pas sur vos cimes !

On n'en a pas encore fini avec le singe, car vous le cherchiez aussi dans l'embouchure, lorsque vous me demandiez d'imaginer une queue de petite cuillère en équilibre entre les dents, et de relever la lèvre supérieure comme une babine retroussée. En fait, pour être, comme vous, l'un de ces "seigneurs" de la musique - Roland l'Anarchiste, vous reconnaissait comme quelqu'un "de la Haute" -, pour accèder au ciel, il faut une part fondamentale d'instinct du Beau, d'animal relié à l'homme ; et aucun animal n'est plus relié à l'homme que le singe, aux virus capables d'abaisser son descendant comme de l'élever, canal entre la terre et le ciel, entre la... rigueur (?) de la recherche terrestre et la vraie liberté du ciel.

Petite anecdote qui en dit long sur la qualité de votre interprétation, jouée dans une sorte d'état de grâce (la synthèse Fernand Lhomme - Pierre Fournier ? la liberté née de la rigueur, grâce à la rencontre d'un interprète avec son compositeur de prédilection : Lucie Robert) : André Beun - qui était à l'alto -, transporté dans un Septième Ciel, par votre introduction au soprano, ne pensait plus à enchaîner malgré vos appels de phare réitérés, car vous arriviez au bout de votre réserve d'air... il partit in extremis, et ce fut, là aussi, magnifique, tant vous avez su communiquer à vos partenaires, votre "virus".


L'épisode de l'enchaînement soprano-alto se trouve à 7:38.

Autres mots-clefs qui m'ont marqué, chez vous, Michel : Richesse, Or et Osmose. Richesse et Or de la sonorité - je vous ai entendu dire, un jour : "pas assez d'Or", à propos d'un son déjà beau. Et là, au regard de votre poste à la Garde Républicaine, on ne peut que penser aux Ors de la République, avec lesquels vous étiez en osmose, comme votre saxophone soliste l'était avec l'orchestre.

Ceci dit, il est un mot que j'ajouterais, lorsque vous parlez de la discipline héritée de Fernand Lhomme à la Société des Concerts et du lyrisme hérité de Pierre Fournier, comme de deux voies distinctes de votre recherche, c'est le mot de synthèse des deux : c'est cela que, pour moi, vous avez réussi dans "Magheia", où l'on ne se soucie plus de savoir si et comment vous vibrez, on entend seulement un instrument qui chante.

Il est un dernier mot, sur lequel j'aimerais revenir, vous l'employez dans votre interview où, face à la pauvreté du répertoire et aux refus de la Garde (tournée en Amérique et Quatuor Marcel Mule), vous dites : "Je me résignai donc à décliner tout nouveau contrat comme concertiste." Il s'agit du mot "résignation". Ainsi, votre accession aux sommets de la musicalité serait le fruit d'une résignation, et même de plusieurs, en voici deux :

- en effet, vous êtes sorti de la classe de Marcel Mule en 1944. Le Concours de Genève se passait en 1952. Entretemps, vous aviez commencé à prendre vos distances avec le style et le vibrato du Maître, vibrato qui nous causa par la suite tant de problèmes, et, lorsque vous êtes allé le voir, un an avant, je crois, pour préparer ce concours, Marcel Mule vous dit alors qu'en jouant ainsi, vous n'aviez aucune chance. Et il vous ramena au style de la classe : première résignation, qui rappelle ce jour, où vous étiez heureux de lui faire entendre un enregistrement, qui vous plaisait, du "Caprice en Forme de Valse", alors qu'il le trouva mauvais.
- La seconde résignation, c'est la tournée en Amérique : devant l'ampleur de la proposition, vous ne saviez pas si vous alliez oser l'accepter, vous êtes venu en parler à Marcel Mule, qui ne vous encouragea pas dans cette voie et qui assura le contrat à votre place (sa tournée triomphale en Amérique date de 1958)...

Mais, s'agit-il véritablement de résignation ? Une carrière de soliste international, soliste dans le monde, n'aurait-elle pas nui à votre recherche fondamentale de soliste dans l'orchestre, recherche d'osmose, d'interpénétration, entre le saxophone et l'orchestre, ce pourquoi, à la Garde, vous étiez comme un poisson dans l'eau, puisque le saxophone y remplaçait le violoncelle ? C'est si vrai, qu'en retraite, vous qui vouliez vous mettre au violoncelle, avez continué de jouer le saxophone, mais pas comme un saxophone ! En fait, vous étiez aux antipodes de ce bassoniste, qui, le jour de sa retraite, prit sa canne à pêche et son basson, démonta ce dernier pièce par pièce, qu'il envoya toutes au fond de l'eau... Vous, au contraire, libéré de toutes partitions, avez joué de mieux en mieux, jusqu'à... 93 ans !!! Votre résignation c'était, en réalité, votre sagesse, et la musique, fut votre part de Paradis sur cette terre.

oOo

C'est pourquoi, cher Michel, en ces jours où nous partageons la peine de votre famille, je souhaite que cette page internet, qui veut vous remercier pour ce que vous m'avez apporté, en essayant de montrer la valeur de votre choix, vous aide à partir en paix, et peut-être, à aller vers des cieux encore plus splendides, dont vos saxophones ne vous ont donné qu'un petit avant-goût.

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