Après
être passée par le trou noir de la forme qu'elle détruit pour intégrer
sa lumière originelle, l'improvisation transforme celle-ci, par un flash
qui la projette à la surface de la sphère créatrice, dans le premier jet
d'un "script" primaire. C'est pourquoi il ne faut pas confondre
l'improvisation avec une interprétation permanente, la moindre
discussion de son contenu la faisant quitter la surface de cette sphère,
pour entrer dans le domaine de la composition-interprétation. En fait,
l'improvisation est dans l'accès au flash de la contradiction et la
composition-interprétation, dans l'accès à l'illumination née de la
résolution de cette contradiction, l'"Eurêka !" d'Archimède. La
difficulté est de comprendre que ces formes d'esprit opposées sont
complémentaires, et que leur complémentarité est le moteur-même de
l'évolution créatrice. Prenons, par exemple, l'enseignement de Muhammad
sur la crucifixion de Jésus : il peut permettre de dépasser la réaction
sentimentale aveuglante que génère la vision de ce supplice, pour
envisager son indiscutable vérité symbolique : tout verbe est enfermé
dans une enveloppe dès qu'il est formulé, et fixé dès qu'il est écrit ou
enregistré, comme est enfermé dans une enveloppe le Verbe incarné, et
fixé lorsqu'il est crucifié. Figé dans la noirceur de l'encre, il est
mort pour qui ne sait pas le lire. Mais, pour les autres, il reprend
sens, "ressuscite" de cette fixation, et s'élève et élève
l'humanité au fur et à mesure qu'il se libère de ses contradictions.
Ainsi, le Verbe de Muhammad lui-même, fixé dans le Coran, sans s'élever,
conformément à sa foi, ressuscite de cette fixation pour le musulman
qui, ne doit pas le lire silencieusement mais le réciter pour en
retrouver le jaillissement premier qui « investit à la fois toutes
les instances psychiques de l'auditeur. » (Id., Mohammed
Arkoun).
La
transformation improvisatrice permet alors aux compositeurs-interprètes
d'arriver à l'essentiel, de s'entendre avec les improvisateurs et
de faire revivre des images émoussées par le temps, en retrouvant
leur sens profond. Tout le problème, pour les premiers, est d'accepter
d'être jetés à terre avec leurs "vérités" (ce qui dépasse leur
entendement, car ils les croient légitimées par les millénaires qui
les perfectionnèrent, sans s'apercevoir que ce perfectionnement les
amenuisa et les limita), et, pour les improvisateurs, d'accepter que
leurs opposants puissent se relever, et, encore plus, "décoller",
à partir de leur descente-ouverture (ce qui dépasse également leur
entendement, car ils ne conçoivent la création que dans le jaillissement
de l'instant, et l'oublient sitôt née, sans savoir qu'il faut aussi
1’"élever", comme on élève son enfant).