SOMMAIRE MUSIQUE SAXOPHONE
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ANTOINE TISNÉ

Le saxophone contemporain
ou le cheminement d'une pensée musicale
vers la spiritualité cosmique (1982)











ANTOINE TISNÉ
Le saxophone contemporain
ou le cheminement d'une pensée musicale
vers la spiritualité cosmique (1982)


par Alain Bouhey

(Article publié dans le Bulletin de l'AS.SA.FRA, n° 20, d'avril 1982.)
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I.- LES SOURCES D'INSPIRATION

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Alain BOUHEY.- Antoine TISNÉ, vous avez écrit trois oeuvres pour le saxophone Alliages, Music for Stonehenge, Espaces Irradiés, les titres de ces partitions font appel à la chimie, aux mystères de Stonehenge ou à des événements cosmiques. Par ailleurs, j'ai été frappé, dans "Espaces Irradiés", par des impressions sonores qui pourraient correspondre sur le plan visuel à des réactions chimiques, pourriez-vous nous dire ce qui inspire votre musique ?
Antoine TISNÉ.- Je considère qu'il y a des relations très étroites entre les problèmes scientifiques, musicaux, spirituels et cosmiques, et chacune de ces partitions reflète ces préoccupations. Dans "Alliages", qui est de la musique pure, on peut associer la recherche de timbres et de couleurs à un univers un peu chimique. "Music for Shonehenge" n'est pas une musique à programme, mais contient cependant le souci d'exprimer, à travers le symbole que représente Stonehenge, la civilisation qui existait 1 500 ans av. J.C. dans le nord de l'Angleterre et qui a érigé ces monolithes assez extraordinaires. A mon avis, d'ailleurs, ils n'ont pas donné toute leur signification. J'ai évoqué ce climat parce qu'il recèle une idée de mystère qui tend à disparaître de nos jours. Cela m'a amené à écrire la partition, sans connaître le lieu, en m'inspirant d'une carte postale. Depuis, j'ai approfondi le phénomène Stonehenge ; mais le mystère reste entier : il semblerait qu'il s'agisse d'une horloge solaire, où l'astre joue un rôle considérable en fonction des orientations, et là-dessus, j'ai imaginé tout un processus musical et scénique, des incantations et des cérémonies rituelles liées à des phénomènes sidéraux, où on retrouve donc, des notions à la fois religieuses, magiques et cosmiques. "Espaces Irradiés" est plus contemporaine dans les sens de la technique d'écriture et de l'actualité quotidienne, qui veut que nous allions de plus en plus loin dans l'espace, où se font des découvertes sensationnelles. Cela explique le choix des différentes pièces qui constituent cette partition.
A.B.- Y a-t-il un lien entre des données scientifiques et votre méthode de composition ?
A.T.- Oui, c'est une méthode que j'emploie beaucoup. Ainsi dans "Espaces Irradiés" je me suis inspiré du développement des molécules. Et, dans des partitions d'orchestre bien plus importantes, telles qu' "Orbes de Feu", écrite récemment, la trajectoire des corps lumineux dans l'espace qui laissent un sillon, m'a donné l'idée d'une partition pour deux orchestres où la technique d'écriture fait penser à cette radiation qui émane des météorites.
A.B.- Dans vos partitions d'orchestres, avez-vous déjà utilisé le saxophone ?
A.T.- Non jamais, si ce n'est dans une partition de musique de chambre pour huit instruments où il y a un saxophone, parce qu'à l'orchestre, il y a des problèmes à résoudre d'une autre nature que musicale. Mais, je trouve que sa place y est tout à fait normale. On y parviendra, vous verrez...
A.B.- On s'aperçoit, en interprétant votre musique, qu'elle ne supporte aucune des façons traditionnelles de vibrer ou de chanter les phrases, et qu'elle s'accommode par contre fort bien de sons en général parfaitement droits. Comment expliquez-vous ce phé-nomène ? Traduit-il une différence radicale de nature entre votre musique et ce qui a précédé et en quoi consiste-t-elle ?
A.T.- Écoutez, je crois qu'en vérité on ne peut pas mélanger les choses, si je ne fais pas appel aux notions de vibrations habituelles, ce n'est pas une attitude pour vouloir faire autre chose, mais une nécessité liée à des phénomènes intérieurs parce que le mode d'inspiration, d'écriture, d'orientation de la pensée musicale l'exigent, de même que le caractère et la symbolique de la partition. Je trouve que le son droit correspond beaucoup mieux à cet aspect linéaire des grands espaces. Ceci dit, je ne néglige pas le vibrato quand il est nécessaire pour des questions de couleur.
A.B.-
Oui, mais le vibrato que vous utilisez est très différent du vibrato traditionnel...
A.T.- II correspond au climat recherché ! A mon avis, Stonehenge pourrait s'adapter à une forme de vibrato un peu plus traditionnelle. Mais dans "Espaces Irradiés" c'est impossible puisque la technique fait appel à toutes sortes de possibilités, (quarts de tons, sons multiples...), qui bien sûr, sontdes nécessités d'expression et pas des gadgets ! Sans oublier le caractère de cette oeuvre qui ne se prête guère au vibrato.









II.- LE COMPOSITEUR ET SON TEMPS

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A.B.- Comment vous situez-vous par rapport aux grands. courants de la pensée musicale ?
A.T.- Très sincèrement, j'ai conscience d'être du XXe siècle, et je m'y sens tout à fait bien. Je perçois les phénomènes extérieurs et j'essaie de les traduire le mieux possible. Quant à la catégorie dans laquelle on veut me placer, je laisse ce soin aux spécialistes, car je ne peux pas me situer moi-même. Mais, ayant horreur des contraintes, je serais plutôt indépendant. Mais, si ma musique reflète le climat de notre époque, c'est formidable.
A.B.- Vous m'avez déjà parlé de votre romantisme, quelle signification revêt ce terme pour vous ?
A.T.- Le romantisme est itinérant à toutes les époques. Il est des moments où il a été plus fort comme au XIXe siècle, mais il y a de grandes périodes du passé où les gens furent romantiques. Ne pensez-vous pas que les Grecs en avaient certaines notions ?
A.B.- Si, bien sûr ! Ils se le représentaient même par la personnalité de DIONYSOS, dieu de l'instinct, des puissances vitales, de la démesure, qu'ils opposaient à APOLLON auquel ils attribuaient beauté, sagesse et mesure, ainsi que NIETZSCHE l'a montré.
A.T.- Aujourd'hui, un romantisme est magnifique, celui de l'évasion, des grands espaces interplanétaires, de la recherche... Il correspond au goût du fantastique, d'un besoin du merveilleux de la science-fiction, et on en trouve des formes dans l'expression théâtrale, picturale, poétique. Au fond ce terme n'est pas très exact, c'est une attitude qui n'a rien à voiravec le XIXe siècle, il y a des esprits classiques et des esprits romantiques. Etre romantique, c'est rechercher une autre forme de poésie adaptée au siècle qui est le nôtre.
A.B.- Je crois même, en abondant dans votre sens, qu'il existe à l'intérieur de chaque individu une lutte, plus ou moins bien équilibrée entre les tendances apollinienne (classique), et dionysiaque (romantique). On pourrait ainsi parler d'un romantisme de MOLIÈRE ou de RACINE qui eux aussi ont cherché, et trouvé, une autre forme de poésie adaptée à leur siècle. Ainsi seraient-ils romantiques dans la mesure où ils ontcherché, et classiques dans celle où ils ont trouvé. II est certain, évidemment, que, chez les créateurs surtout, la prépondérance de l'une des tendances est liée à l'apport des générations précédentes qui les ont amenés au seuil de la découverte ou de l'interrogation. Précisément, le saxophone ayant été inventé au siècle du romantisme par un homme de la démesure, Adolphe SAX, ne présente-t-il pas un intérêt particulier dans le cadre de votre démarche ?
A.T.- Absolument ! Je n'aurais jamais écrit "Espaces Irradiés" si je n'aimais pas le saxophone qui, par la richesse de ses timbres et les possibilités qu'il offre, - quarts de tons, sons simultanés etc... - permet à la pensée musicale de s'exprimer dans son caractère spatial. C'est le timbre de l'instrument que j'ai dans l'oreille, et qui m'a guidé dans le choix de l'orientation de la pensée musicale.
A.B.- Recherche suppose insatisfaction. La musique d'aujourd'hui n'est-elle pas l'expression d'une crise de civilisation analogue à celle qui a ébranlé le siècle de COPERNIC où, comme vous le savez, toutes les croyances concernant !'immobilité de la terre au centre de l'univers ont été bouleversées? Aujourd'hui l'homme va sur la lune, il envoie des sondes vers Saturne... L'idée se répand que des êtres extra-terrestres dépassent de très loin nos connaissances; des films, des oeuvres littéraires nous montrent également dépassés par nos propres machines qui "pensent" plus vite que nous.
A.T.- Il est certain que toute la production actuelle tend vers cette orientation et il se peut qu'on retrouve ce sentiment dans ma musique, non seulement pour dire qu'il y à crise de civilisation, mais pour signifier autre chose, aller plus loin. En fait, on traverse un cap, c'est certain ! Et pouvoir l'exprimer est le propre des artistes. C'est pourquoi ce qui se passe dans le monde sur les plans artistique, scientifique et politique, peut constituer le support d'un compositeur et de tous les créateurs de notre temps. Je crois volontiers à l'existence d'autres terres, d'autres conditions biologiques permettant la vie. Quant aux machines, je fais confiance aux humains qui savent toujours se ressaisir ; mais il est vrai que leur remettre notre destin est effroyable, et c'est un thème actuel très fort qu'on voit partout. Il faut s'en défendre et leur réserver uniquement des fins utilitaires pour n'en pas être spirituellement tributaires... Elles ne sont qu'un moyen technique !
A.B.- En allant plus loin, puisque votre musique nous place au courr du mystère, quand on apprend par exemple que la sagesse indoue, et parfois même occidentale, dans l'appronfondissement de la spiritualité parvient à la contemplation des astres, à la lévitation, entre autres, sans le secours de satellite, ni d'aucun moyen matériel, ne peut-on pas se demander si votre musique ne nous amène pas, inéluctablement, à un choix entre deux formes de connaissances : l'une, toujours frustrée, qui recherche à l'extérieur de soi un pouvoir matériel, et l'autre qui résoud le problème dans la quête spirituelle et retrouve en soi l'harmonie avec l'univers ?
A.T.- Vous touchez là exactement au fond du problème. Cette musique est une quête vers un certain absolu, le besoin d'accéder à d'autres formes de spiritualité. Cela constitue les mobiles, les exigences premières à l'origine de cette oeuvre et ceux des autres partitions.







III.- RAPPORTS AVEC LE PUBLIC

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A.B.- Certains compositeurs de musique contemporaine écrivent pour eux-mêmes et estiment ne pas avoir à communiquer avec le public. Quelle est votre attitude à ce sujet ?
A.T.- C'est une erreur fondamentale qui est cause non seulement de l'isolement mais aussi du ghetto dans lequel se trouve parfois la musique contemporaine. On s'exprime à travers soi, mais pour les autres, sinon je crois que ce n'est pas la peine d'écrire.
A.B.- On trouve également des instrumentistes qui jouent pour eux...
A.T.- Ils sont à côté de la question, eux aussi.
A.B.- On peut d'ailleurs ajouter que, du point de vue de la création musicale, se couper des hommes revient tôt ou tard à perdre l'inspiration. Par contre, on perçoit dans votre quête spirituelle, un désir d'unité qui anime la dualité que vous exprimez entre l'homme et le monde.
A.T.- En ce qui concerne le public, on ne peut pas toujours faire des concessions. Lui aussi doit faire un effort, d'autant plus que les critères qui lui sont donnés doivent lui permettre de comprendre. Seules les exécutions fréquentes peuvent lui faciliter l'accès à ces oeuvres. Au cours de diverses auditions, j'ai pu constater avec plaisir que le public suivait. Donc il sent et comprend qu'il se passe quelque chose. Ce qui est important, c'est qu'il soit saisi par un phénomène sonore. Néanmoins, il estcertain qu'il est beaucoup plus difficile de faire admettre cette musique que, par exemple, le "Caprice en Forme de Valse" de Paul BONNEAU qui est d'un univers plus accessible. Mais je crois qu'un auditeur du XXe siècle se doit aussi d'accéder aux différents modes d'expression de son temps. Se retrancher vers le passé est une facilité, une faiblesse, ce qui ne signifie pas que je renie le passé, bien au contraire, car il a permis à ce maillon de la chaîne de pouvoir continuer et d'obtenir ces résultats merveilleux, que ce soit pour le saxophone ou pour d'autres instruments.
A.B.- "Espaces Irradiés" dure environ vingt cinq minutes, cette oeuvre difficile ne gagnerait-elle pas, pour un public non averti, à être jouée partiellement ?
A.T.- Cela est possible. L'on peut en jouer deux ou trois fragments selon la durée du programme. Il faut considérer aussi que cette partition évoque quatre climats différents, aussi est-il nécessaire de trouver les moyens de les différencier, sinon cela risque de devenir préjudiciable à l'oeuvre, c'est alors une question d'interprétation. Il ne doit pas y avoir monotonie.
A.B.- Compte-tenu du message que l'artiste doit faire passer et des réactions du public, comment envisagez-vous un programme de concert de saxophone ?
A.T.- L'important est de présenter toute une palette sonore ayant trait au saxophone, en diversifiant les styles et en faisant un amalgame bien équilibré qui amène progressivement à la musique d'aujourd'hui. Je vois très bien commencer un concert avec une étude de KOECHLIN, enchaîner avec DESENCLOS et aller vers des oeuvres plus contemporaines.
A.B.- Que pensez-vous de l'exécution de transcriptions en concert ?
A.T.- C'est très bien pour un travail de style. Mais en concert je suis plutôt pour des oeuvres originales.
A.B.- Certains compositeurs estiment que les transcriptions présentent un intérêt pour le public dans la mesure où l'on se préoccupe davantage de la musique que d'imiter l'instrument original.
A.T.- C'est une remarque tout à fait pertinente...
A.B.- Par ailleurs présentant un instrument bien souvent inconnu dans un répertoire qui ne l'est guère moins, le fait de commencer un concert par une oeuvre transcrite, auquel le saxophone apporte de par son timbre un cachet particulier, à condition qu'elle soit judicieusement choisie, peut constituer une transition avec ce qu'il est habituel d'entendre...
A.T.- Oui, c'est faciliter l'approche de l'instrument. Je comprends votre préoccupation en tant qu'interprète. Mais dans un souci de pénétration des styles il faut jouer des ceuvres qui tiennent compte des particularités instrumentales. Ce sujet est à débattre, on ne peut pas trancher, toutefois je garde ma préférence pour des partitions originales.
A.B.- Vous m'avez demandé si "Espaces Irradiés" faisait évoluer la technique du saxophone. Pour ma part, cette ceuvre entraîne une évolution à la manière d'une preuve par neuf.
A.T.- Par-delà !a technique de l'instrument, je pensais à l'évolution de l'esprit, de l'attitude psychique, sensible... tous les saxophonistes que je connais sont techniquement capables de jouer cette musique, cependant certains d'entre eux n'ont pas eu encore la possibilité d'aborder les problèmes relatifs à l'expression musicale spécifique à notre temps, de l'appréhender. C'est une question de courage et d'audace, pour l'interprète comme pour le compositeur, et cette évolution spirituelle résoudra progressivement les problèmes techniques.
A.B.- C'est donc vers une technique nous permettant d'accéder à la spiritualité cosmique qu'il faut semble-t-il nous tourner pour trouver l'esprit avec lequel le public doit aborder l'audition, et l'interprète l'exécution de cette musique. Et tout d'abord pouvez-vous nous dire les éléments de réponse que vous percevez tout au long de votre quête ?
A.T.- Dans "Espaces Irradiés", il y a cette quête vers !a lumière qui s'effectue dans une démarche lente et difficile à partir de l'ombre. Les éléments de réponse arrivent par touches. Toujours est-il qu'il y a, dans mes partitions, cette recherche constante de la lumière. Avez-vous remarqué tous les titres qui y ont trait "Arches de Lumière", "Espaces Irradiés", "Luminescences", "Profits d'Ombres", "Orbes de Feu" et tant d'autres ?... II y a toujours cet objectif qui est là et que l'on veut atteindre...







IV. VERS UNE TECHNIQUE DE LA SPIRITUALITÉ COSMIQUE

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A.B.- L'attention que le public a portée, une nuit entière, à l'alunissage de Youri GAGARINE, n'est-elle pas du même style que celle qu'il doit porter à " Espaces Irradiés " ?
A.T.- Si ! Notamment pour le troisième mouvement, "lunaire" pour saxophone et piano préparé, qui décrit cette atmosphère d'un désert impressionnant, qui remet en question toute là condition humaine. Vous
imaginez un peu les réactions de ces cosmonautes dans une telle solitude ! Ils ont dû se poser des questions nombreuses que le grand public semble ignorer mais qui ont existé. Ce sont-elles que j'ai essayé de comprendre et de traduire musicalement.
A.B.- Les images qui guident une interprétation de musique plus traditionnelle me paraissent se rattacher à la mouvance des vagues, de la mer...
A.T.- C'est une notion très poétique qui d'ailleurs est magnifique.
A.B.- Dans le Concertino d'IBERT pour lequel je ressentais moins cette nécessité, par exemple, c'est Marcel MULE lui-même, qui m'a, montré combien elle s'imposait en l'associant aux inflexions du langage.
A.T.- C'est tout à fait exact...
A.B.- Dans votre musique, ces images sont d'ordre sidéral...
A.T.- Ce qui tendrait à prouver que toutes les musiques se rattachent à un élément naturel...
A.B.- Or curieusement, pour les sciences occultes, sidéral exprime la partie fluidique de l'individu, intermédiaire entre l'âme et le corps et émanation des astres. N'est-ce pas ce lien qui doit nous guider dans cet ailleurs de la création musicale, ces images cosmiques qu'il faut creuser pour irradier à notre tour vos irradiations...
A.T.- Comme l'alchimiste...
A.B.- Et pour que la lumière contenue au fond de ses ténèbres, de nature encore incertaine, mais qui l'empêche d'être un néant (car, dans votre désert on sent une présence...)
A.T.- Il est habité !...
A.B.- Pour que cette lumière donc, sensibilise l'auditeur en lui rendant plus perceptible cet ailleurs de la création musicale ?
A.T.- C'est absolument cela. A mon avis c'est le moyen le plus efficace. Ces images d'ordre sidéral doivent guider une démarche spirituelle tout à fait différente, traduisant dans "Espaces Irradiés" l'inquiétude devant l'absolu, devant ce désert, d'où sur un plan plus matériel certains sons qui ne bougent pas, droits comme des grands horizons où l'on attend un évènement qui doit se produire "un paysage musical aux contours indéfinissables à la manière d'une toile de TANGUY", comme je l'ai écrit pour "lunaire".
A.B.- En jouant "Music for Stonehenge" et "Espaces Irradiés", il m'a semblé que le moi de l'interprète ne devait pas chercher à approfondir son intériorité pour y trouver l'humanité, le cosmos, mais s'effacer, devant l'étrangeté du monde où il pénètre. L'interprète exprime cette extériorité presque totale d'un monde mystérieux.
A.T.- En fait, il y a un chant dans cette oeuvre. Il est conçu comme un appel, il essaie de retrouver, de capter quelque chose. Il va beaucoup plus loin qu'en soi, il est extérieur et s'inscrit dans l'espace...
A.B.- Mais ! cette réponse est fondamentale !... N'est-ce pas cela que vous cherchez !? Le chant c'est l'harmonie, l'accord, c'est la lumière ! Il fait, comme vous le dites magnifiquement, que cet appel s'inscrit dans l'espace : car il est vos Orbes de feu; vos Arches de lumière". La compréhension de cet élément doit nous aider à orienter nos recherches sur le plan sonore et de nous élever à l'expression d'une vibration plus subtile et chaleureuse ! Le propre de l'artiste n'est-il pas de rayonner à la manière du soleil, or que reçoit le soleil des astres qu'il illumine, si ce n'est le reflet de sa propre lumière? A vous, Il est donné davantage, car il ne s'agit pas d'un reflet, mais de la réponse d'un astre bien vivant qui a, tout simplement, me semble-t-il, pour nom... LA MUSIQUE !...
Alain BOUHEY, ERAGNY, le 21 Sept. 1981







ESPACES IRRADIÉS
ANTOINE TISNÉ, 1980.


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Les quatre pièces formant les "Espaces Irradiés" mettent en oeuvre toutes les ressources expressives et sonores offertes par le saxophone. Ces pièces animées de multiples pulsions dynamiques visent à évoquer musicalement le climat à la fois poétique et onirique qui se dégage des espaces des lieux sillonnés par les jeux et les rythmes incessants d'ombre et de lumière.
"Lent et comme une improvisation" : à l'image de la trajectoire du corps céleste dessinant un orbe lumineux, le son du saxophone se développe et s'amplifie parmi les diaprures d'accords diaphanes projetés par le piano pour s'estomper et revenir peu à peu à son point d'origine.
"Récité et libre, dans le caractère d'une mélopée incantatoire sans lenteur" : ici le saxophone devient soliste, son chant dépouillé aux accents lyriques s'élève en appels interrogatifs qui sculptent le temps musical auquel répond le silence des étendues nimbées d'une clarté insolite.
"Lunaire" : la particularité de cette pièce réside dans l'utilisation d'amalgame de sonorités nouvelles d u saxophone et de résonnance des cordes du piano mises en vibration au moyen de différents modes d'attaque à l'intérieur même de l'instrument. Ces alliages de timbres et de couleurs contribuent à créer l'ambiance d'un paysage musical aux contours indéfinissables à la manière d'une toile de TANGUY.
"Statique et libre" et "dynamique", pièce brillante et incantatoire où les rythmes obsessionnels reprennent leurs droits. Le mouvement dynamique semble parcouru par un courant de pulsions contrastées, de jaillissements et de fulgurances soudaines, tandis que le saxophone se livrant à des prouesses de virtuosité, projette dans l'espace irradié des feux de sonorités flamboyantes.

Antoine TISNÉ

 
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