SOMMAIRE MUSIQUE SAXOPHONE
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ALAIN VOIRPY

LE(S) SAXOPHONE(S) ?... (1982)



ALAIN VOIRPY

LE(S) SAXOPHONE(S) ?... (1982)

par Alain Bouhey

(Article publié dans le Bulletin de l'AS.SA.FRA, n° 21, d'octobre 1982.)







SAXOPHONES :
DE LA VULGARITE AU MEILLEUR LYRISME


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Alain BOUHEY.- Alain VOIRPY, tu as travaillé au Conservatoire de Paris avec Olivier MESSIAEN, Serge NIGG et Michel PHILIPPOT ; tu viens d'obtenir, en mai 1981, le Prix du Concours International de la Fondation Prince Pierre de MONACO, parmi 154 candidats, venant de 37 pays différents, pour "Réminiscences", pour sextuor de clarinettes, un prix attribué par neuf personnalités européennes, parmi lesquelles Conrad BECK, Lennox BERKELEY, Narcis BONET, Henri DUTILLEUX, Marcel MIHALOVICI... Quelle est ta position par rapport aux grandes orientations de la composition musicale ?
Alain VOIRPY.- II y a actuellement une tendance assez générale à rejeter en partie le radicalisme des années de BOULEZ, dans laquelle je me situe. L'écriture n'est plus fondée en premier lieu sur la recherche musicale, ni systématiquement éclatée, comme ce fut le cas de l'école post-webernienne, ou de celle du Domaine Musical. La volonté se manifeste, au contraire, de réintégrer au sein de la musique tout un monde de lyrisme et d'expression, celui de BARTOCK, de BERG, pour sortir de l'emprise du post-webernisme, et des musiques architecturales (XENAKIS).
A.B.-Tu viens d'écrire deux oeuvres pour saxophone "Motum V' pour saxophone seul, en collaboration avec Claude DELANGLE, édité chez LEMOINE, et "Méditation sur un Sanctus", pour saxophone et orgue, que je dois créer au Congrès de Nüremberg, et qui doit être également édité chez LEMOINE ; tu prépares une troisième oeuvre pour saxophone, piano et percussion. Comme beaucoup de jeunes et moins jeunes compositeurs dont nous allons reparler, tu n'éprouvais pourtant aucune attirance pour notre instrument, pourquoi ?
A.V.- Les reproches s'adressaient plus aux utilisateurs qu'à leur outil, qui m'apparaissait uniquement sous l'aspect d'un instrument dont l'agilité et la vélocité se prêtaient à toutes sortes d'effets faciles, et dont le côté sentimental, "bel canto", frisait bien souvent pour moi la vulgarité ; hormis le domaine du jazz, je trouvais qu'en musique classique, il n'apportait rien de nouveau ni de très personnalisé aux timbres de l'orchestre.
A.B.-
Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
A.V.- La connaissance de Claude DELANGLE, auquel m'avait recommandé Guy DANGAIN, pour qui j'avais écrit une oeuvre pour clarinettes. Je me suis fait tirer l'oreille pendant plus d un an, puis Claude m'a joué quelques partitions dont la "Concertante" de Marius CONSTANT à ce moment, je me suis aperçu qu'on pouvait peut-être arriver à faire quelque chose. Puis, j'ai fait connaissance d'autres saxophonistes, tels que toi, qui m'ont confirmé dans l'idée que le saxophone pouvait sortir de la facilité pour devenir un instrument aussi complet que les autres.
A.B.-
Qu'est-ce qui fait pour toi sa personnalité ?
A.V.-
Jusqu'à présent, il m'apparaissait comme un instrument d'expression lyrique excessive, .j'ai trouvé en lui ce qui me semblait lui manquer : j'ai découvert qu'il était capable de poésie, de mystère, d'un certain recueillement suivant la façon dont on le traite : parmi les vents, c'est l'un des premiers où j'ai trouvé satisfaisants les quarts de tons, et quelques sons multiphoniques, c'est le premier où j'ai pu les obtenir justes aux doigtés, ce qui est très important. Son étendue me convient également, grâce à l'extension vers le suraigu par les harmoniques. Je ne soupçonnais pas enfin qu'il permette d'obtenir une telle variété, puisse jouer piano, sans vibrer, en vibrant, émettre des sons blancs, colorés... J'étais resté à une image plus primaire et, hélas ! beaucoup plus courante de l'instrument.
A.B.- Comment se fait-il que tu n'aies pas aimé le saxophone, qui a été essentiellement utilisé de façon lyrique, même excessive, alors que tu proposes, toi-même, un retour au lyrisme ?
A.V.-
II ne faut pas confondre le lyrisme avec le fait de chanter de grandes phrases sentimentales, la main sur le coeur, même s'il peut s'extérioriser sous la forme de lignes chantées très développées, comme dans l'opéra. Il est aussi une expression intérieure très intense, animée par la volonté de toucher, d'attirer et de susciter des sentiments ; il peut être fin, exprimer le mystère; ainsi "La Mer", "Pelléas et Mélisande", sont des oeuvres très lyriques, cependant contenues, DEBUSSY est un compositeur lyrique.
A.B.-
Tu as organisé, au C. N. S. M. de Paris, une présentation du saxophone par Claude DELANGLE, qui a laissé, en classe de composition, les élèves indifférents. Pourquoi, à ton avis?
A.V.- J'avoue que j'ai toujours du mal à me l'expliquer, et que je n'ai pas réussi a connaître exactement l'opinion du professeur. Je pense que cela témoigne d'un manque de curiosité assez net de là part d'un certain nombre de jeunes compositeurs ; par ailleurs, il faut reconnaître qu'il n'est pas évident de se remettre en question du jour au lendemain, de se dire qu'on a eu tort, quand on vit sur des idées préconçues. Claude a montré l'instrument dans toute sa gamme et il n'y a eu aucune question.
A.B.-
Est-ce que l'idée de ces jeunes compositeurs correspond à celle que tu t'en faisais avant ?
A.V.- Oui, c'est celle d'un instrument vulgaire;









"MOTUM V" & "MEDITATION SUR UN SANCTUS"

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A.B.- Avec "Motum V', tu l'as abordé pour la première fois ; cette oeuvre qui mérite une étude approfondie, exploite avec insistance des possibilités originales du saxophone, (harmoniques, sons multiphoniques, quarts de tons), dans quel esprit l'as-tu écrite ?
A.V.- Comme il s'agissait de faire connaissance, je l'ai poussé dans tous ses retranchements, mais toujours avec l'idée de faire de là musique avant tout, ce qui m'a amené, par exemple, pour les sons multiphoniques, à n'utiliser que ceux qui pouvaient, être homogènes. C'est une oeuvre expérimentale pensée dans une optique. musicale.
A.B.- Es-tu coutumier du fait.
A.V.- Oui, je l'ai fait pour d'autres instruments, violon, alto, etc...
A.B.- Quelle est la signification du titre: "Motum V' ?
A.V.- C'est un titre que j'ai donné à une série d'oeuvres pour instruments seuls, qui contient une pointe d'humour en effet, "Motum !" était une exhortation des généraux romains pour encourager leurs troupes à aller au combat, c'est le "go" des Américains. J'ai employé ce mot parce que je suis parfaitement conscient que ce sont des couvres redoutables, et pour encourager les musiciens.
A.B.- Je me suis demandé, devant l'intérêt insistant que tu portais à la clé d'harmoniques, si tu n'avais pas tendance à considérer que ce petit rajout, abandonné, sauf erreur, par la majorité des saxophonistes, n'avait pas tendance à donner une octave supplémentaire à l'instrument...
A.V.- La clef d'harmoniques n'est pas mon affaire ! J'ai simplement constaté que Claude DELANGLE, qui l'emploie, n'a pas de problèmes. Le jour où toi ou un autre saxophoniste me montreront que l'émission peut être aussi bonne sans cette clé, je serai convaincu !
A.B.- Le problème de l'émission des harmoniques mériterait un article à lui seul, avec d'autres saxophonistes parmi lesquels des Américains, qui sont nos maîtres en ce domaine, et qui n'ont pas attendu cette olé pour y faire des prouesses, tout en reconnaissant que les trois lignes de suraigu d'IBERT, représentaient quinze ans de travail, pour un résultat pas toujours convaincant en direct... Tu m'as dit, au sujet de "Méditation sur un Sanctus", que tu t'étais préoccupé dans cette oeuvre de faire de la musique, cela signifie-t-il, que la musique y a une place plus importante que dans "Motum V' ?
A.V.- Non, exactement !a même place, faire de la musique, pour moi, c'est évident, c'est ma volonté première. Seulement, dans "Motum V', j'ai cherché, alors que dans "Méditation sur un Sanctus", il n'y a aucune volonté expérimentale ; cette oeuvre a été écrite en connaissance de cause.
A.B.- Tu tiens, dans "Motum V', à ce que chaque note d'un son multiphonique, soit émise à sa hauteur sans nous concéder la possibilité d'une variante, ne serait-ce que d'un quart de ton, pourquoi une telle intransigeance ?
A.V.- Pour trois raisons . il s'agit de sons que j'ai entendus, musicalement, je les veux en tant que tels, ces quarts de tons s'intègrent dans un langage, dans des modes, des séries... un compositeur qui écrit une note ne le fait pas pour rien, sinon pourquoi ne jouerait-on pas les concerti de MOZART au demi-ton près ?
A.B.- L'émission de ces sons présente parfois un caractère aléatoire lié aussi au matériel utilisé (bec, saxophone,anche...).
A.V.- Claude DELANGLE me l'avait dit également, mais je suis persuadé qu'on peut les obtenir avec beaucoup de précision, puisque vous les avez joués correctement.
A.B.- A un accident près, dont je t'avais prévenu... Que penses-tu de l'intérêt musical de ces sons et pourquoi ne les as-tu pas utilisés dans "Méditations sur un Sanctus" ?
A.V.- L'intérêt musical de ces sons me paraît évident, surtout dans une oeuvre pour instrument seul. Ce qui m'a toujours un peu gêné, par exemple, dans la Sonate pour flûte seule de J.S. BACH par rapport aux Sonates pour violon, c'est le fait d'entendre une seule ligne pendant un quart d'heure. C'est peut-être une déformation de notre histoire qui nous habitue à la polyphonie, mais j'apprécie beaucoup dans les pièces pour instruments à cordes d'avoir un soutien harmonique et ce qui m'intéresse dans une composition soliste, c'est justement la possibilité d'amener une polyphonie, c'est pourquoi, j'ai plus privilégié les cordes que les vents jusqu'à présent. J'ai utilisé dans "Motum V', les sons multiphoniques parce qu'il y avait cette polyphonie et je sais qu'elle a été ressentie comme agréable au milieu d'une oeuvre monodique. "Méditation sur un Sanctus" étant avec orgue, je n'ai pas éprouvé le besoin de les utiliser du fait de la présence de l'orgue, harmoniquement très riche, mais j'aurais très bien pu en introduire dans tout le passage ,en quarts de tons, non pour l'effet mais pour les sons qu'ils donnent. II est d'ailleurs possible que j'en réemploie dans ma prochaine oeuvre pour piano, Saxophone et percussion, car je n'ai pas l'intention de me servir du piano pour sa valeur harmonique, mais pour créer une atmosphère, un peu comme instrument de percussion à hauteur déterminée.







SAXOPHONES ET ORCHESTRE

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A.B.- Que penses-tu du jeu et de l'interprétation des saxophonistes par rapport à ceux des autres instrumentistes ?
A.V.- Je n'ai pas remarqué de différence de jeu chez les saxophonistes qui ne considèrent pas le saxophone comme un instrument de facilité, mais ce défaut se rencontre aussi bien chez des violonistes, par exemple, il ne faut pas s'imaginer que vous êtes des musiciens d'une autre race, ce que font peut-être beaucoup de jeunes compositeurs, en tout cas, je n'en ai pas eu du tout la sensation avec les saxophonistes que je côtoie.
A.B.- A ton avis, dans quel sens y a-t-il à progresser ?
A.V.- Dans l'attitude ! II ne faut pas chercher la différence avec les autres musiciens, vous considérer à part, les guitaristes sont comme vous.
A.B.- La raison m'en paraît simple : c'est la non intégration à l'orchestre !
A.V.- Je me pose la question : il serait intéressant et profitable que les saxophones soient intégrés à l'orchestre, malheureusement; je trouve que les tentatives qui ont été faites ne sont pas convaincantes, exception faite de la "Création du Monde", qui s'inscrit dans un contexte différent, Darius MILHAUD, s'y inspirant du jazz. Dans "Lulu", BERG n'intègre pas le saxophone dans la polyphonie, il émerge, on le remarque. Dans "Jeanne au Bûcher", HONEGGER remplace les cors par les saxophones, et il ne doit pas avoir un rôle de remplacement. Celui qui l'a peut-être le mieux utilisé, c'est PENDERECKY, d'une façon remarquable, dans toutes ses ceuvres orchestrales. De plus, il a fait ce qu'il faillait : il a employé la famille complète.
A.B.- Franz TOURNIER explique qu'un compositeur qui écrit pour orchestre avec saxophones ne peut être joué, s'il n'est pas en renom...
A.V.- C'est vrai, d'autant plus que les compositeurs en renom appartiennent à une génération qui a rejeté l'instrument, on arrive à en obtenir un dans les orchestres symphoniques, mais c'est beaucoup plus difficile dans les orchestres d'opéra. J'insiste en plus sur le fait qu'il est très important d'utiliser la famille entière.
A.B.- En somme, l'espoir pour le saxophone, c'est que les jeunes compositeurs comme toi, l'emploient dans toutes leurs partitions. Mais ne va-t-on pas de Charybde en Scylla, si tu estimes qu'il en faut.quatre quand il est si difficile d'en avoir un, comment penses-tu procéder, toi, personnellement ?
A.V.- Tant que je n'aurai pas les moyens d'employer la famille complète, je ne l'utiliserai pas.
A.B.- Qu'est-ce que le saxophone apporte dans l'orchestre ?
A.V. -
Un timbre nouveau. Par ailleurs, il peut renforcer de façon efficace certaines fréquences, notamment les basses : Dans l'orchestre, l'aigu est net grâce aux bois, le médium solide grâce aux cors et aux trombones, mais il y a un trou dans les graves où des ténors et des barytons seraient merveilleux, en dehors de cette utilisation en doublure ils apporteraient une couleur que l'utilisation de la famille complète confirmerait.
A.B.- On peut ajouter, ainsi que l'a souligné Franz TOURNIER, que le médium, s'il est solide, manque d'une mobilité qui est le propre du saxophone.
A.V.- Mais j'insiste sur le fait que l'intégration dans l'orchestre implique un changement de mentalité des saxophonistes : ils doivent se défaire du complexe d'être des musiciens à part, et jouer dans le même esprit que les autres.







DU VIBRATO AUX SAXOPHONES

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A.B.- Tu me dis être très favorable au système de la commande qui te permet d'écrire en fonction d'un interprète. Ainsi tu m'as demandé de supprimer l'expression légèrement vibrée que j'employais dans le passage en quarts de ton de "Motum V", parce que tu l'avais conçu pour Claude DELANGLE qui vibrait peu. Mais j'ai eu dans "Méditation sur un Sanctus", la surprise de voir à propos d'un passage similaire : "peu de vibrato", j'en déduis que tu n'es pas insensible à certaines de ces formes d'expression et que c'est aux saxophonistes à te les proposer. Quelle est ta position face à ce problème ?
A.V.- Je suis très partisan de la commande, car je ne peux pas écrire une oeuvre d'une façon satisfaisante sans savoir par qui elle va être jouée. Je ne suis pas opposé au vibrato, cela dépend beaucoup de l'expression et du moment. Claude vibrant très très peu, j'ai conçu "Motum V", en fonction de mon interprète. Lorsque j'ai écrit la "Méditation...", il y a un seul passage où j'ai mis "peu de vibrato", mais je ne l'ai pas empêché dans le reste, car je suis habitué à ton vibrato que je trouve très satisfaisant sur le plan sonore. Le début, la fin, même le passage en rythmes peuvent être vibrés. Ce que je n'aime pas, c'est I utilisation systématique du vibrato : celui-ci doit rester une forme de sonorité, d'expression, il faut l'utiliser comme toutes les autres : en la modulant (En riant), cela m'a toujours beaucoup amusé de voir que le vibrato puisse constituer l'objet d'une querelle entre saxophonistes.
A.B.- C'est pour cela que tu craignais de me "choquer", en me disant que mon ondulation n'était pas un vibrato mais un timbre ?
A.V.- Oui, je te connaissais encore peu.
A.B.- Quelle relation établis-tu entre un timbre et une certaine ondulation du son ?
A.V.- C'est intéressant ! Le son a toujours une vibration même quand on écrit sans vibrer puisqu'il s'exprime sous forme de vibrations.
A.B.- Oui, mais on ne les perçoit pas.
A.V.- Disons que le timbre jouera sur le niveau de perception de ces vibrations qui existent au départ et ne peuvent pas être niées.
A.B.- Y a-t-il un moment où la vibration cesse d'être un timbre ?
A.V.- Oui, j'ai déjà entendu des saxophonistes qui vibrent avec une ondulation ordinaire, à ce moment-là, ce n'est plus un timbre mais une manie ; le timbre existe dans la mesure où on le maîtrise et où on en fait quelque chose. Sinon, c'est comme quelqu'un qui met la pédale sans arrêt au piano.
A.B.- Je te remercie pour le point que tu viens de faire de la situation. II n'est pas brillant, mais il contient deux éléments positifs : le saxophone et une nouvelle façon de le jouer qui pourraient être nos centres de ralliement, car tu mets en cause le jeu traditionnel, les compositeurs en renom, (avec Franz TOURNIER), les jeunes compositeurs, et la composition de l'orchestre.
 
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