Alain BOUHEY.- Alain VOIRPY, tu as travaillé au Conservatoire
de Paris avec Olivier MESSIAEN, Serge NIGG et Michel PHILIPPOT ; tu
viens d'obtenir, en mai 1981, le Prix du Concours International de
la Fondation Prince Pierre de MONACO, parmi 154 candidats, venant
de 37 pays différents, pour "Réminiscences", pour sextuor de clarinettes,
un prix attribué par neuf personnalités européennes, parmi lesquelles
Conrad BECK, Lennox BERKELEY, Narcis BONET, Henri DUTILLEUX, Marcel
MIHALOVICI... Quelle est ta position par rapport aux grandes orientations
de la composition musicale ?
Alain VOIRPY.- II y a actuellement une tendance assez générale
à rejeter en partie le radicalisme des années de BOULEZ, dans laquelle
je me situe. L'écriture n'est plus fondée en premier lieu sur la recherche
musicale, ni systématiquement éclatée, comme ce fut le cas de l'école
post-webernienne, ou de celle du Domaine Musical. La volonté se manifeste,
au contraire, de réintégrer au sein de la musique tout un monde de
lyrisme et d'expression, celui de BARTOCK, de BERG, pour sortir de
l'emprise du post-webernisme, et des musiques architecturales (XENAKIS).
A.B.-Tu viens d'écrire deux oeuvres pour saxophone "Motum V'
pour saxophone seul, en collaboration avec Claude DELANGLE, édité
chez LEMOINE, et "Méditation sur un Sanctus", pour saxophone et orgue,
que je dois créer au Congrès de Nüremberg, et qui doit être également
édité chez LEMOINE ; tu prépares une troisième oeuvre pour saxophone,
piano et percussion. Comme beaucoup de jeunes et moins jeunes compositeurs
dont nous allons reparler, tu n'éprouvais pourtant aucune attirance
pour notre instrument, pourquoi ?
A.V.- Les reproches s'adressaient plus aux utilisateurs qu'à
leur outil, qui m'apparaissait uniquement sous l'aspect d'un instrument
dont l'agilité et la vélocité se prêtaient à toutes sortes d'effets
faciles, et dont le côté sentimental, "bel canto", frisait bien souvent
pour moi la vulgarité ; hormis le domaine du jazz, je trouvais qu'en
musique classique, il n'apportait rien de nouveau ni de très personnalisé
aux timbres de l'orchestre.
A.B.- Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
A.V.- La connaissance de Claude DELANGLE, auquel m'avait recommandé
Guy DANGAIN, pour qui j'avais écrit une oeuvre pour clarinettes. Je
me suis fait tirer l'oreille pendant plus d un an, puis Claude m'a
joué quelques partitions dont la "Concertante" de Marius CONSTANT
à ce moment, je me suis aperçu qu'on pouvait peut-être arriver à faire
quelque chose. Puis, j'ai fait connaissance d'autres saxophonistes,
tels que toi, qui m'ont confirmé dans l'idée que le saxophone pouvait
sortir de la facilité pour devenir un instrument aussi complet que
les autres.
A.B.- Qu'est-ce qui fait pour toi sa personnalité ?
A.V.- Jusqu'à présent, il m'apparaissait comme un instrument d'expression
lyrique excessive, .j'ai trouvé en lui ce qui me semblait lui manquer
: j'ai découvert qu'il était capable de poésie, de mystère, d'un certain
recueillement suivant la façon dont on le traite : parmi les vents,
c'est l'un des premiers où j'ai trouvé satisfaisants les quarts de
tons, et quelques sons multiphoniques, c'est le premier où j'ai pu
les obtenir justes aux doigtés, ce qui est très important. Son étendue
me convient également, grâce à l'extension vers le suraigu par les
harmoniques. Je ne soupçonnais pas enfin qu'il permette d'obtenir
une telle variété, puisse jouer piano, sans vibrer, en vibrant, émettre
des sons blancs, colorés... J'étais resté à une image plus primaire
et, hélas ! beaucoup plus courante de l'instrument.
A.B.- Comment se fait-il que tu n'aies pas aimé le saxophone,
qui a été essentiellement utilisé de façon lyrique, même excessive,
alors que tu proposes, toi-même, un retour au lyrisme ?
A.V.- II ne faut pas confondre le lyrisme avec le fait de chanter
de grandes phrases sentimentales, la main sur le coeur, même s'il
peut s'extérioriser sous la forme de lignes chantées très développées,
comme dans l'opéra. Il est aussi une expression intérieure très intense,
animée par la volonté de toucher, d'attirer et de susciter des sentiments
; il peut être fin, exprimer le mystère; ainsi "La Mer", "Pelléas
et Mélisande", sont des oeuvres très lyriques, cependant contenues,
DEBUSSY est un compositeur lyrique.
A.B.-Tu as organisé, au C. N. S. M. de Paris, une présentation
du saxophone par Claude DELANGLE, qui a laissé, en classe de composition,
les élèves indifférents. Pourquoi, à ton avis?
A.V.- J'avoue que j'ai toujours du mal à me l'expliquer, et
que je n'ai pas réussi a connaître exactement l'opinion du professeur.
Je pense que cela témoigne d'un manque de curiosité assez net de là
part d'un certain nombre de jeunes compositeurs ; par ailleurs, il
faut reconnaître qu'il n'est pas évident de se remettre en question
du jour au lendemain, de se dire qu'on a eu tort, quand on vit sur
des idées préconçues. Claude a montré l'instrument dans toute sa gamme
et il n'y a eu aucune question.
A.B.- Est-ce que l'idée de ces jeunes compositeurs correspond
à celle que tu t'en faisais avant ?
A.V.- Oui, c'est celle d'un instrument vulgaire;