V.-

DAVID ABIKER,
"L'EVANGILE SELON JUDAS"

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Abouhey - le 11/04/2015 à 14h25
Remarquant qu’un moment fort du film "Histoire de Judas" est celui où Jésus confie à Judas la mission d’aller détruire les textes écrits qui ont recueilli sa parole, David Abiker demande à Rabah Ameur-Zaïmeche comment lui est venue cette idée que Jésus ne voulait pas qu’on garde de lui des écrits, et qu’il souhaitait rester dans l’oralité, le réalisateur répond qu’il y avait PEUT-ETRE en Jésus un désir profond de laisser ses paroles voler comme une hirondelle. Mais, il y a une autre réponse : Jésus est le Verbe de Dieu incarné, Verbe qui a donc pris corps, et qui s’est donné à la crucifixion pour en ressusciter avec un corps glorieux. Jésus s’est donc ECRIT lui-même sur la Croix, il n’avait pas besoin d'être écrit par quelqu'un d'autre que lui-même. Il n’est pas étonnant, que suivant sa logique Rabah Ameur-Zaïmeche n’ait pas filmé la crucifixion, pour libérer les personnages de la Bible, comme il le dit, mais d’une libération qui n’est pas chrétienne, la véritable libération de Jésus passant par la Croix. Faisant cela, le réalisateur a une vision de Jésus très proche de la conception coranique, pour qui Jésus est le verbe de Dieu qu’Allah a jeté en Marie et qui n’a pas été crucifié (et donc n’est pas ressuscité), puisqu’il a été remplacé sur la croix. La conception qu’a Rabah Ameur-Zaïmeche de la parole de Jésus évoque la spontanéité du langage coranique dont Mohammed Arkoun dit qu’il est un jaillissement continu de certitudes qui ne s'appuient pas sur une démonstration, mais sur une profonde adéquation aux éléments permanents de la sensibilité humaine. C’est pourquoi, je ne crois pas du tout qu’"Histoire de Judas" soit un film idéal pour parler de religion avec des ados, comme le dit David Abiker, car il mélange des formes d’esprit opposées : celle d’interprétation du christianisme, qui fait revivre glorieusement le verbe fixé par l’écriture (ou la crucifixion, quand ce verbe est incarné) et celle d’improvisation de l’islam, qui est la culture du jaillissement continu de certitudes (contradictoires), la troisième (ou première) forme d’esprit étant celle de composition du judaïsme, qui met en question le verbe spontané des prophètes, ce qu'il a fait avec Jésus et que refuse le Coran. Ces formes d'esprit se retrouvent bien sûr dans le monde laïque et permettent de relier les univers laïque et religieux.
Abouhey - le 25/04/2015 à 09h07
Ajout au commentaire du 11/04/2015, précisant les deux rôles que peut jouer l’écriture : elle peut être servante ou maîtresse. L’écriture est servante quand elle se borne à fixer le premier jet de l’inspiration. Elle est maîtresse, quand elle permet de mettre en question cette inspiration pour en dépasser les contradictions et faire la synthèse de ses propositions. Une différence fondamentale entre la Bible et le Coran réside précisément dans le fait que la première est un livre COMPOSÉ. L’écriture y est maîtresse. Elle met en question le verbe prophétique et le filtre, cette mise en question pouvant aller jusqu’à une mise à mort (disant par exemple à Jésus crucifié : si tu es le Fils de YHWH, qu’il te libère de la croix). Dans le christianisme, Jésus, présenté comme le Verbe incarné de Dieu, Fils de Dieu, et, lui-même, Dieu, résout cette contradiction de la mise à mort d’un Verbe immortel, par sa Résurrection dans un corps glorieux, immortel et infiniment plus fort que son corps humain. C’est grâce à son indispensable victoire sur la crucifixion, mode de fixation du Verbe divin adapté à son incarnation, que le Christ se présente comme la parfaite INTERPRÉTATION de la Bible (c’est pourquoi, Rabah Ameur-Zaïmeche, laisser de côté la crucifixion, c’est laisser de côté le judéo-christianisme). Le Coran, lui, contredit les livres sacrés juif et chrétien, en les attaquant au cœur : en leurs Pâques (Moïse a renvoyé les hébreux en Egypte et Jésus, qui n’est pas Dieu Fils de Dieu, n’a pas pu ressusciter puisqu’il a été remplacé sur la croix.) Cette contradiction est, elle aussi, indispensable pour sortir de la direction verticale unique du judéo-christianisme. Elle apporte une possibilité d’ouverture horizontale. Etant LA CONTRADICTION, le Coran n’accepte pas que juifs et chrétiens en dépassent les limites, et utilisent l’écriture autrement qu’en servante fixant les paroles d’Allah transmises par son prophète Muhammad, sans discuter ce qui va jusqu’à les faire se contredire elles-mêmes. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’il est écrit que le croyant musulman doit respecter les livres sacrés juif et chrétien à l’égal du Coran et ne faire aucune différence entre eux, alors qu’on vient de voir que ce dernier les contredit fondamentalement dans leurs Pâques-mêmes. (A suivre dans le prochain commentaire…)
Abouhey - le 24/04/2015 à 17h04
(… suite du commentaire précédent) Bref, on serait dans l’impasse la plus totale, si le monde laïque n’offrait pas une magistrale voie de solution : l’improvisation sur une composition-interprétation donnée, permet de détruire et transformer respectueusement cette dernière, sans l’empêcher d’exister pleinement, mais en CO-EXISTANT avec elle. Pour cela, il ne faut pas s’attaquer à l’original, mais à une copie de celui-ci, à l’idée que l’on s’en fait, à la limite, à soi-même. C’est une lutte contre soi-même, qui, transposée sur le plan islamique, devient le bon Djihad. Ce bon Djihad permet, à terme, d’inverser la pyramide du pouvoir créateur, dans une forme tenant de la Jérusalem céleste de Jean, en reliant laïcité et religions.
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