Etant donc arrivé à la pyramide inversée scriptorale, à partir du cycle créateur artistique humain de
composition-interprétation / destruction-transformation,
j'eus la surprise de découvrir que, sur le plan divin, la Trimurti hindoue était composée de
Brahma
le Créateur |
-
-
|
Vishnou
le Parfait Interprète |
/
/
|
Shiva
le Destructeur-Transformateur. |
Voyant cette correspondance étonnante entre les trois formes d'esprit de la création artistique humaine et la Trimurti ("triple forme") de l'hindouisme, ma première idée fut de regarder, si, non pas la Trinité chrétienne, mais, bel et bien, notre triple monothéisme :
Judaïsme - Christianisme / Islam
ne correspondait pas, à la fois, au cycle créateur humain :
Composition - Interprétation / Improvisation
dans sa forme absolue :
Composition - Interprétation / Destruction - Transformation
(la destruction - transformation devant toujours être entendue comme respectueuse de l'original)
la forme relative étant :
Composition - Interprétation / Transformation
(sans destruction, car allant dans le sens de l'écriture, improviser, par exemple, du Mozart)
et à la Trimurti hindoue :
Brahma - Vishnou / Shiva.
JE DECOUVRIS ALORS QUE :
DANS LE JUDAÏSME,
la Bible est un livre composé, qui met en question, filtre le verbe, l’oralité, des prophètes, comme le compositeur organise le premier jet de son inspiration.
DANS LE CHRISTIANISME,
Jésus, qui n'est pas venu "abolir la Loi, mais l'accomplir", s'inscrit dans la continuité du judaïsme, comme l'interprète dans celle du compositeur qu'il joue. On a appelé Vishnou "le Parfait Interprète". N'est-ce pas exactement ce qu'est Jésus, sous la plume de Luc ?
"Esprits sans intelligence, lents à croire tout ce qu'ont annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait." (...)
"Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j'étais encore avec vous : il faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. Alors il leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Ecritures, et il leur dit : "Ainsi était-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait des morts le troisième jour, et qu'en son Nom, le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem." (Evangile de Luc, 24; 25-27 ; 44-47, Bible de Jérusalem, Ed. du Cerf.)
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DANS L'ISLAM,
Muhammad se définit, lui-même, comme le dernier prophète, or les prophètes sont au Verbe divin, ce que les improvisateurs sont à la musique et au verbe humains. Ce qu'ils expriment, qui jaillit de leur bouche n'est pas retouchable, pour eux :
"Les musulmans disent que le Coran est "descendu" (sous-entendu : du ciel), que Mohamed n'en est pas l'auteur mais qu'il est seulement le transmetteur de la parole d'Allah. De ce fait, ils considèrent que ce Livre est intouchable." (Coran, V, 72, Éditions Flammarion)
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La forme d'esprit de l'improvisateur destructeur-transformateur respectueux est comme l'image, l'écho, de celle d'Allah transmise par Muhammad. Ainsi, Allah demande le respect des Livres juif et chrétien :
"Dis aux hommes des Écritures : "Vous ne vous appuierez sur rien de solide tant que vous n'observerez pas le Pentateuque, l'Évangile et ce que Dieu a fait descendre d'en haut. Le Livre que tu as reçu du ciel, ô Muhammad !" (Coran, V, 72, Éditions Flammarion)
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ou encore :
"Dites : Nous croyons en Dieu et à ce qui a été envoyé d'en haut à nous, à Abraham et à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux douze tribus, aux livres qui ont été donnés à Moïse et à Jésus, aux livres accordés aux prophètes par le Seigneur, nous ne mettons point de différence entre eux et nous sommes résignés à la volonté de Dieu." (Coran, II, 130, Éditions Flammarion)
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tout en en détruisant et transformant l'essentiel, que sont les deux Pâques :
- pour le Coran, Moïse n'a pas amené les hébreux en Terre Promise, il les a renvoyés en Egypte :
« Lorsque vous avez dit : "O Moïse ! nous ne pouvons supporter une seule et même nourriture ; prie ton Seigneur qu'il fasse pousser pour nous ces produits de la terre, des légumes, des concombres, des lentilles, de l'ail et des oignons; " Moïse vous répondit : "Voulez-vous échanger ce qui est bon contre ce qui est mauvais ? Eh bien rentrez en Égypte, vous y trouverez ce que vous demandez." Et l'avilissement et la pauvreté s'étendirent sur eux, et ils s'attirèrent la colère de Dieu, parce qu'ils ne croyaient pas à ses signes et tuaient injustement leurs prophètes. Voilà quelle fut la rétribution de leur révolte et de leurs méchancetés. » (Coran, II, 58, Éditions Flammarion)
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- Quant à Jésus, toujours pour le Coran, il n'a pas pu ressusciter, pour la bonne raison qu'il n'a jamais été crucifié :
« Ils disent : "Nous avons mis à mort le Messie, Jésus fils de Marie, l'apôtre de Dieu." Non, ils ne l'ont point tué, ils ne l'ont point crucifié, un autre individu qui lui ressemblait lui fut substitué, et ceux qui disputaient à son sujet ont été eux-mêmes dans le doute (...) » (Coran, IV, 156, Éditions Flammarion).
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De même que l'improvisateur refuse tout "repentir" par rapport à son improvisation, comme une atteinte à son "feeling", le Coran refuse la filtration biblique de la parole prophétique :
« Nous avons accepté le pacte des enfants d'Israël et leur avons envoyé des prophètes ; toutes les fois que les prophètes leur annonçaient les vérités que rejetaient leurs penchants, ils accusaient les uns d'imposture et assassinaient les autres. » (Coran, V, 74, Éditions Flammarion)
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L'aspect moral de ce terme de "repentir" montre bien, que pour la forme d'esprit biblique et évangélique de composition-interprétation, le verbe prophétique et l'improvisation sont pleins de fautes, ce qui signifie, pour prophètes et improvisateurs : pleins de vérité et de vie. C'est sur ce plan, à mon sens, qu'Allah s'oppose, complémentairement (comme nous le verrons) à YHWH et au Dieu trinitaire. Autre temps, autre forme d'esprit dominante, voilà qui pourrait bien expliquer que, si, chez les juifs, les prophètes finissaient souvent mal, Muhammad, chez les arabes, ait fini au mieux. (Notre époque, d'ailleurs, est friande d'improvisation, et, comme par hasard, l'Islam y progresse.)
Mohammed Arkoun confirme, dans sa préface du Coran publié par Flammarion, que ce sont la spontanéité et le premier jet qui priment dans ce Livre :
« Le langage coranique (...) est spontané : c'est un jaillissement continu de certitudes qui ne s'appuient pas sur une démonstration, mais sur une profonde adéquation aux éléments permanents de la sensibilité humaine. » (Mohammed Arkoun, Coran, 4ème trimestre 1970, Éditions Flammarion)
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Liée à cette spontanéité, il y a, tout naturellement, la volonté de ne se servir de l’écriture que comme d’un moyen de fixation asservi aux exigences de l’improvisateur, de lui dénier cette capacité qu’elle a de propulser les compositeurs - interprètes vers le haut, de les faire dépasser leurs limites :
« O vous qui avez reçu les Ecritures, ne dépassez pas les limites dans votre religion, ne dites de Dieu que ce qui est vrai. Le Messie, Jésus fils de Marie, est l'apôtre de Dieu et son Verbe qu'il jeta en Marie : il est un esprit venant de Dieu. Croyez donc en Dieu et en ses apôtres, et ne dites point : il y a Trinité. Cessez de le faire. Ceci vous sera plus avantageux. Car Dieu est unique. Loin de sa gloire qu'il ait eu un fils. A lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Son patronage suffit, il n'a pas besoin d'un agent. » (Coran, IV, 169, Éditions Flammarion)
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Remarquons que, dans cette traduction, Jésus est le Verbe de Dieu qu'Il "jeta" en Marie, et non un "souffle" qu'il "introduisit", traduction adoptée par Frédéric Lenoir, dans son livre "Dieu", publié aux Editions Robert Laffont, p. 150. Quelle est la bonne traduction ? Il est sûr que "jeta" correspond beaucoup plus à la forme d'esprit destructrice - transformatrice de l'improvisateur instinctif.
L’improvisation destructrice - transformatrice fonctionne en ouverture du champ des contradictions, la composition – interprétation en élévation par résolution de ces contradictions, et il est très intéressant de voir que Mohammed Arkoun tend à cacher sa tête dans le sable, par rapport à tout ce champ contradictoire ouvert par le Coran, cette mémoire détruite et transformée :
« On voit par cette version sur le retour des Israélites en Egypte que Muhammad refait à son gré l'histoire du Peuple de Dieu. Nous nous dispenserons, à l'avenir, de relever les discordances du Coran avec les livres de l'Ecriture. » (Mohammed Arkoun, Coran, p.45, 4ème trimestre 1970, Éditions Flammarion).
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Mohammed Arkoun ne se révèle-t-il pas là comme un adepte du "repentir" compositionnel, quand il vaudrait mieux, relever toutes les contradictions du Coran, les mettre en lumière, comme autant de preuves de leur nécessité, dans l'évolution créatrice ? l'Economie du Salut ?... pour aboutir à la pyramide inversée - Jérusalem Céleste ?
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